Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
Vom Netzwerk:
trop turbulents. Le Cher ou l'Indre ne sont pas si éloignés et nous fourniraient de l'eau en abondance : ensuite, nous…
    — Ensuite, ce maudit Plantagenêt aura eu le temps de regrouper ses forces, et nous, nous serons coupés dans notre élan, l'interrompit Philippe.
    Son regard ne quittait pas le ruisseau minuscule, suivait le flanc du coteau comme pour en chercher la source. Une étrange fascination s'emparait de lui. Au creux de son estomac, naissait une sensation inhabituelle, une sorte de démangeaison ou de vibration, qui ne tarda pas à s'étendre pour envahir tout son torse, puis ses membres. Quelques instants après le début de ce phénomène, il se trouva tout entier pris dans une gangue ouatée, au point qu'il se fût cru ivre si son esprit n'était demeuré clair. L'idée qu'il était la proie d'une maladie foudroyante le traversa mais il ne lui accorda aucune attention : ce n'était pas une maladie, il le sentait. Il sentait aussi qu'il lui eût suffi de secouer la tête, de détourner le regard du ruisselet, pour chasser le trouble qui le possédait.
    Il ne fit rien de tel.
    La voix du comte de Clermont, étouffée, lui parvint comme si elle avait résonné à cent toises de là.
    — Sire ? Qu'avez-vous ?
    Je n'ai rien, voulut-il répondre, tout va bien. Les mots, cependant, ne franchirent pas ses lèvres. La lumière du soleil lui paraissait soudain moins brillante. On eût dit que le soir tombait en milieu d'après-midi. Le fin serpent liquide qui courait sur les cailloux étincelait toujours, mais le reste s'assombrissait, disparaissait sous un épais voile de ténèbres. Bientôt, Philippe ne vit plus rien, que l'eau.
    L'eau qui mouillait à peine la poussière du large lit creusé au fil des siècles. L'eau si peu abondante que sa chute le long du coteau s'accompagnait de clapotis presque inaudibles. L'eau qu'il croyait à présent sentir couler en lui, remplacer le sang dans ses veines, se répandre dans tout son corps pour lui apporter une douce fraîcheur. Il ne se rendit pas compte qu'il tombait à genoux ni que le connétable, le voyant ainsi transfiguré, possédé d'une ferveur mystique, l'imitait pour prier à son côté.
    L'eau l'aimait, c'était une évidence. Comme douée d'une vie propre, elle lui communiquait des sentiments proches de ceux que lui transmettaient ses chiens préférés. L'affection. La soumission. L'eau l'aimait, et elle était à ses ordres.
    Jamais Philippe ne devait comprendre de quelle manière il lui commandait : c'était pour lui un acte naturel, autant que la respiration, tellement naturel que les mécanismes précis lui en devenaient inaccessibles.
    Ce n'était pas toujours facile, et de trop grandes prouesses resteraient toujours hors de sa portée : il manquait de pouvoir – ce qu'une Lysamour eût réalisé par simple réflexe exigeait de lui des efforts considérables le laissant épuisé, vidé. Mais enfin, pour peu qu'il ne voulût pas la changer en air ou en feu, pour peu qu'il ne tentât pas d'apprivoiser un océan, l'eau lui obéissait, et c'était déjà merveille.
    Ce jour-là, en prenant conscience de ce qui allait se produire, il se demanda s'il devait continuer, si ce qu'il faisait ne constituait pas un péché mortel qui lui fermerait à jamais les portes du Paradis. C'était une possibilité. S'il s'abstenait, en revanche, ses soldats l'abandonneraient et il perdrait la guerre – cela, c'était une certitude.
    Il continua.
    Les dents serrées, le visage crispé, il concentra toutes ses forces sur le ruisseau. Peu à peu, il le vit s'élargir, repousser les ténèbres aux confins de son champ de vision, tandis qu'un joyeux bruit de cascade parvenait à ses oreilles.
    — Un miracle ! entendit-il murmurer près de lui. Sire ! C'est un miracle !
    Philippe ne relâcha sa concentration que lorsqu'il se sentit arrivé à l'extrême limite de ses forces. Aussitôt, la gangue qui l'enveloppait se dissipa, de même que les restes d'obscurité, et un vertige le saisit. Basculant en avant, il se fût effondré face contre terre si Raoul de Clermont ne l'avait rattrapé in extremis.
    — Dieu tout puissant, mais vous tremblez, sire ! Que vous arrive-t-il donc ?
    — Je vais bien, monseigneur, rassurez-vous, se contraignit-il à articuler. Un simple étourdissement. Cela va passer.
    Il fut contraint de s'appuyer sur l'épaule du connétable pour se redresser. En dépit de sa faiblesse, qu'il devinait passagère, une intense

Weitere Kostenlose Bücher