Le Roi de l'hiver
Nimue, n’est-ce pas ?
— Non.
Elle n’a jamais été admise dans l’antre de Merlin. Ça ne l’intéressait pas.
— Mais
toi, tu y es entré ?
— Juste
deux fois. » Je pouvais voir ses seins et, délibérément, je baissai les
yeux vers le bassin noir, à seule fin d’y voir se refléter sa beauté, l’eau
ajoutant un sensuel chatoiement de sombre mystère à son corps souple et élancé.
Un silence pesant se fit et je compris, songeant à notre dernier échange, que
Lunete avait dû prétendre posséder quelques rudiments de la magie de Merlin et
que je venais sans conteste de démasquer l’imposture. « Peut-être,
repris-je d’une voix faible, Lunete en sait-elle plus qu’elle ne m’a jamais
dit ? »
Guenièvre haussa
les épaules et se détourna. Je levai de nouveau les yeux. « Mais Nimue,
dis-tu, est plus avertie que Lunete ?
— Infiniment
plus, Dame.
— Par
deux fois, je lui ai demandé de venir, reprit-elle brusquement, et par deux
fois elle a refusé. Comment la persuader de venir ?
— La
meilleure façon d’obtenir quelque chose de Nimue, c’est de le lui
interdire. »
Le silence se
fit à nouveau. Le brouhaha de la ville était assez bruyant ; les cris des
camelots sur le marché, le fracas des roues des charrettes sur la pierre, les
aboiements, le bruit de ferraille de récipients dans une cuisine proche, mais
dans cette pièce, c’était le silence. « Un jour, je construirai ici un
temple à Isis », annonça-t-elle en tendant la main vers les remparts de
Mai Dun qui bouchaient le ciel, du côté sud. « C’est un endroit
sacré ?
— Très
sacré.
— Bien. »
Elle se retourna vers moi, le soleil baignant ses cheveux roux et donnant de
l’éclat à sa peau douce sous son fourreau blanc. « Je ne veux pas de ces enfantillages,
Derfel, je ne vais pas essayer de jouer au plus malin avec Nimue. Je la veux
ici. J’ai besoin d’une vraie prêtresse. J’ai besoin d’une amie des anciens
Dieux pour combattre ce morveux de Sansum. J’ai besoin de Nimue, Derfel, alors
au nom de l’amour que tu portes à Arthur, dis-moi quel message la fera venir.
Dis-le-moi et je te dirai pourquoi j’adore Isis. »
Je marquai un
temps de pause, réfléchissant à ce qui pourrait l’appâter. « Dites-lui,
annonçai-je enfin, qu’Arthur lui livrera Gundleus si elle t’obéit. Mais veillez
qu’il le fasse, ajoutai-je.
— Merci à
toi, Derfel. » Elle sourit et s’assit sur le trône de pierre noire polie.
« Isis, m’expliqua-t-elle, est une Déesse de femme et le trône est son
symbole. Un homme pourrait monter sur le trône, mais c’est Isis qui décide qui
est cet homme. Voilà pourquoi je la vénère. »
Je flairai un
parfum de trahison dans ses paroles. « Le trône de ce royaume, Dame, est
occupé par Mordred ».
Je répétai un
leitmotiv d’Arthur qui eut le don d’exciter ses sarcasmes.
« Mordred ! Il n’occuperait même pas un pot de chambre ! Mordred
n’est qu’un estropié ! Un gosse mal élevé qui flaire déjà le pouvoir comme
un pourceau reniflant pour saillir une truie. » Elle parlait d’une voix
cinglante et méprisante. « Et depuis quand, Derfel, un trône se transmet
de père en fils ? Il n’en a jamais été ainsi dans l’ancien temps ! Le
meilleur de la tribu prenait le pouvoir, et c’est ainsi qu’il devrait en être
aujourd’hui. » Elle ferma les yeux comme si elle regrettait soudain sa sortie.
« Tu es un ami de mon mari ? demanda-t-elle au bout de quelque temps,
les yeux rouverts.
— Dame,
vous le savez.
— Alors
nous sommes des amis, toi et moi, Derfel. Nous ne faisons qu’un, parce que tous
deux nous aimons Arthur, et crois-tu, mon ami Derfel Cadarn, que Mordred fera
un meilleur roi qu’Arthur ? »
J’hésitai,
parce qu’elle m’invitait à tenir le langage de la trahison, mais elle
m’incitait aussi à parler franchement dans un lieu consacré, et je lui dis la
vérité. « Non, Dame. Le prince Arthur ferait un meilleur roi.
— Bien,
approuva-t-elle dans un sourire. Alors dis à Arthur qu’il n’a rien à craindre
mais, au contraire, beaucoup à gagner de mon culte d’Isis. Dis-lui que c’est
pour son avenir que je la vénère ici, et que rien de ce qui se passe dans cette
pièce ne peut lui faire de tort. Est-ce assez clair ?
— Je le
lui dirai, Dame. »
Elle me
dévisagea un bon moment. Je me tenais droit comme un soldat, avec mon manteau
qui touchait terre,
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