Le Roi de l'hiver
farouche, rit de la victoire de son amant. Tanaburs avait fermé un œil,
levé une main vers le ciel et sautillait sur une jambe : autant de signes
qu’il était en communion sacrée avec les Dieux tandis qu’il se répandait en
maléfices et que la garde de Gundleus prenait position dans l’enceinte, la
lance abaissée, pour transformer ces malédictions en réalité. Ligessac avait
rejoint les rangs siluriens et aidé les lanciers à massacrer les siens.
Quelques Dumnoniens essayèrent bien de résister, mais ils avaient été déployés
pour rendre honneur à Gundleus, non pour le combattre, et les lanciers
siluriens vinrent rapidement à bout de la garde de Mordred, et plus vite encore
des piteux soldats de Druidan. Pour la première fois de ma vie adulte, je vis
des hommes mourir transpercés par une lance, et j’entendis les hurlements
terribles que pousse un homme lorsqu’une arme expédie son âme dans l’Au-Delà.
L’espace de
quelques instants, je restai impuissant, pris de panique. Norwenna et Mordred
étaient morts, le Tor n’était que hurlement, et l’ennemi se ruait vers l’antre
et la tour de Merlin. Morgane et Hywel apparurent à côté de la tour, mais alors
qu’Hywel avançait en clopinant, une épée à la main, Morgane se précipita vers
la porte donnant sur la mer. Une nuée de femmes, d’enfants et d’esclaves la
suivait ; une foule de gens terrorisés que Gundleus sembla satisfait de
laisser échapper. Ralla, Sebile et les rares hommes de la garde dépenaillée de
Druidan qui avaient pu éviter les sinistres guerriers siluriens leur coururent
après. Pellinore bondissait dans sa cage, caquetant et nu : l’horreur le
réjouissait.
Je sautai des
remparts et courus vers le palais. Je n’étais pas valeureux, j’étais simplement
épris de Nimue et je voulais m’assurer qu’elle était en sécurité avant de fuir
le Tor à mon tour. Les gardes de Ligessac étaient morts et les hommes de
Gundleus commençaient à piller les cabanes lorsque je plongeai par la porte et
courus vers les appartements de Merlin, mais avant d’avoir atteint la petite
porte noire, je trébuchai sur la hampe d’une lance et tombai lourdement. Puis
une petite main m’empoigna par le col et, avec une force stupéfiante, me traîna
vers mon ancienne cachette, derrière les corbeilles de linge de table.
« Imbécile, tu ne peux rien faire pour elle », me chuchota à
l’oreille la voix de Druidan. « Maintenant, tiens-toi
tranquille ! »
Je me
retrouvai donc en lieu sûr quelques secondes avant que Gundleus et Tanaburs
n’entrent dans la salle, et tout ce que je pus faire, ce fut de regarder le
roi, son druide et trois hommes casqués se diriger vers la porte de Merlin. Je
savais ce qui allait se passer et je ne pouvais l’empêcher, car Druidan me
fermait la bouche de sa petite main pour m’empêcher de hurler. Je doutais que
Druidan se fût précipité dans la salle pour sauver Nimue : probablement
était-il venu s’emparer de tout l’or qu’il pouvait avant de détaler avec le
reste de ses hommes, mais au moins sa présence m’avait-elle sauvé la vie. Mais
elle ne sauva Nimue de rien.
Tanaburs
écarta d’un coup la cloison-fantôme puis ouvrit la porte, par laquelle
s’engouffra Gundleus, suivi de ses lanciers.
J’entendis
Nimue hurler. Je ne sais si elle employait des tours pour défendre l’antre de Merlin,
ou si elle avait déjà abandonné tout espoir. Je sais que l’orgueil et le devoir
lui avaient imposé de rester pour protéger les secrets de son maître, et que
maintenant elle payait cet orgueil. J’entendis Gundleus rire, puis je
n’entendis plus grand-chose, hormis le tumulte des Siluriens fouillant les
coffres, les ballots et les paniers de Merlin. Nimue gémissait, Gundleus poussa
un cri triomphal, puis elle hurla encore, trahissant une douleur soudaine et
terrible. « Ça t’apprendra à cracher sur mon bouclier, fillette »,
lança Gundleus à Nimue qui sanglotait désespérément.
« La
voilà qui se fait foutre », me dit Druidan à l’oreille avec un malin
plaisir. D’autres lanciers de Gundleus traversèrent la salle en courant vers
l’antre de Merlin. Avec sa lance, Druidan avait percé un trou dans le mur
d’argile et il m’ordonna maintenant de me faufiler à sa suite. Mais tant que
Nimue vivrait, il n’était pas question que je file. « Ils vont bientôt
fouiner dans ces corbeilles », me prévint le nabot. Mais je ne voulus
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