Le Roi de l'hiver
les
cheveux plus blonds, les yeux plus bleus et sans éclat, la peau plus hâlée que
nous, et ils aimaient à se couvrir de fourrure, sans quoi ils s’habillaient
comme nous ; et, s’agissant des armes, la seule différence était que la
plupart des Saxons portaient un couteau à longue lame qui faisait des ravages
dans les corps-à-corps, et nombre d’entre eux avaient d’énormes haches à large
lame qui, d’un seul coup, pouvaient fendre un bouclier. Certains d’entre nous
étaient tellement impressionnés par ces haches qu’ils portaient des armes du
même type, mais Owain, comme Arthur, les jugeait peu maniables. On ne peut pas
parer avec une hache, se plaisait à répéter Owain, et une arme qui ne sert pas
à la défense aussi bien qu’à l’attaque ne valait pas tripette à ses yeux. Les
prêtres saxons étaient très différents de nos saints hommes, car ces sorciers
étrangers portaient des peaux d’animaux et s’enduisaient le crâne de bouses de
vache en sorte que leurs cheveux formaient des épis sur leur tête. Ce jour-là,
dans la vallée, un prêtre Saïs sacrifia un bouc pour savoir s’ils devaient ou
non nous combattre. Le prêtre commença par briser une des pattes arrière de
l’animal, puis lui donna un coup de poignard dans le cou et laissa l’animal
s’enfuir en traînant sa jambe cassée. Il tituba, sanguinolent et criant, le
long de leurs lignes puis se tourna vers nous avant de s’effondrer sur l’herbe.
De toute évidence, c’était de mauvais augure, car les Saxons perdirent aussitôt
leurs airs bravaches et se replièrent à la hâte, délaissant leur enceinte à
demi achevée et traversant un gué pour se replier dans les bois, emportant avec
eux femmes, enfants, esclaves, porcs et troupeau. On cria à la victoire, on se
régala de la chèvre et on abattit leur palissade. Il n’y eut pas de butin.
Nos hommes étaient
affamés, car à la manière de tous les conscrits ils avaient avalé toutes leurs
provisions dans les premiers jours et n’avaient plus rien à manger que les
noisettes cueillies sur les arbres. Faute de vivres, nous n’avions d’autre
solution que de battre en retraite. Avides de rentrer, les conscrits faméliques
passèrent en premier ; nous autres, les guerriers, suivions plus
lentement. Griffid avait l’air buté, car il rentrait sans or ni esclaves, même
si, en vérité, il avait accompli autant que la plupart des bandes qui écumaient
les terres disputées. Mais c’est alors que nous étions presque revenus en pays
familier que nous tombâmes sur une autre bande de Saxons qui suivaient le
chemin inverse. Ils avaient dû croiser nos conscrits, car ils étaient chargés
d’armes prises sur l’ennemi et de captives.
La rencontre
fut une surprise de part et d’autre. J’étais à l’arrière de la colonne de
Griffid et j’entendis seulement le début de la bataille qui commença lorsque
notre avant-garde, sortant des arbres, tomba sur une demi-douzaine de Saxons
qui traversaient un cours d’eau. Nos hommes attaquèrent, puis les lanciers des
deux camps se jetèrent dans la mêlée. Il n’y avait pas de mur de boucliers,
juste une rixe sanglante à travers un ruisseau peu profond et, une fois encore,
comme ce jour où j’avais tué mon premier ennemi dans les bois au sud d’Ynys
Wydryn, j’éprouvai la joie de la bataille. C’était, me dis-je, la même
sensation qu’éprouvait Nimue quand les Dieux la visitaient ; comme si l’on
avait des ailes, avait-elle dit, qui vous élevaient dans la gloire ; voilà
dans quelles dispositions j’étais en cette journée d’automne. Je rencontrai mon
premier Saxon sur terrain plat, ma lance pointée : je vis la peur dans ses
yeux et je sus qu’il était mort. La lance s’enfonça dans son ventre ; je
tirai l’épée d’Hywel, que j’appelais maintenant Hywelbane, et l’achevai d’une
estocade dans les flancs, puis je pataugeai dans le ruisseau et en tuai deux
autres. Je gueulais comme un esprit malin, hurlant dans leur langue aux Saxons
de venir goûter la mort. Un immense guerrier accepta alors mon invitation et me
chargea avec l’une de ces grandes haches qui ont l’air si terrifiantes. Sauf
que le poids mort d’une hache est beaucoup trop grand. Une fois balancée, on ne
peut revenir en arrière et je portai au gaillard une estocade qui aurait
réchauffé le cœur d’Owain. Je mis la main sur trois torques d’or, quatre
broches et un couteau orné de pierres précieuses,
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