Le Roi de l'hiver
la terreur d’un autre sac. Les Saxons,
disaient-ils, avaient un nouveau chef avide de terre et redoutable dans la
bataille. « Pourquoi Owain n’est-il pas venu ? demanda-t-il d’un ton
irrité, ou Arthur ? Ils veulent me détruire, c’est ça ? »
C’était un homme gras et soupçonneux, à l’haleine la plus fétide que j’eusse
jamais croisée. Il était roi d’une tribu, plutôt que d’un pays, ce qui le
mettait au second rang. Mais, à le voir, on l’aurait pris pour un serf, et un
serf grognon par-dessus le marché. « Vous n’êtes pas très nombreux,
n’est-ce pas ? déplora-t-il en s’adressant à Griffid. J’ai bien fait de
lever des troupes. »
Melwas avait
imposé la conscription et tous les hommes valides de la tribu des Belges
étaient censés servir, même si nombre d’entre eux s’étaient éclipsés tandis que
les plus riches avaient envoyé des esclaves pour les remplacer. Melwas s’était
tout de même débrouillé pour rassembler une force de plus de trois cents
hommes, chacun portant ses vivres et fourbissant ses propres armes. D’aucuns
avaient été jadis des guerriers et vinrent équipés de belles lances de guerre
et de boucliers soigneusement préservés, mais la plupart n’avaient point
d’armure et, pour toute arme, des bâtons ou des pioches affûtées. Quantité de
femmes et de gamins accompagnaient la troupe, refusant de rester seuls à la
maison alors que les Saxons menaçaient.
Melwas décréta
que ses guerriers et lui allaient rester pour défendre les remparts croulants
de Venta : autrement dit, ce serait à Griffid de mener la troupe contre
l’ennemi. Melwas n’avait aucune idée de l’endroit où se trouvaient les Saxons,
et Griffid s’enfonça donc à l’aveuglette au fond des bois, à l’est de Venta.
Nous tenions plus de la canaille que d’une bande de guerre, et la vue d’un cerf
provoquait une folle poursuite accompagnée de cris de tous les diables qui
eussent alerté l’ennemi à dix kilomètres à la ronde, et la poursuite s’achevait
toujours par une dispersion des hommes à travers les bois. Nous perdîmes près
de cinquante hommes ainsi, soit qu’ils se fussent fourrés inconsidérément entre
les pattes des Saxons, soit qu’ils se fussent simplement perdus et qu’ils
eussent décidé de regagner leurs pénates.
Même si au
départ nous n’en vîmes aucun, ces bois grouillaient de Saxons. Parfois, on
découvrait leurs feux de camps encore fumants, et un jour nous tombâmes sur un
petit village belge qui avait été pillé et incendié. Les hommes et les
vieillards étaient encore là, tous morts, mais les jeunes et les femmes avaient
été emportés comme esclaves. L’odeur de cadavre refroidit les ardeurs du reste
des conscrits et les fit se serrer les coudes tandis que Griffid approchait de
l’est.
Nous
rencontrâmes notre première bande de Saxons dans une large vallée arrosée, où
un groupe d’envahisseurs avait installé son campement. À notre arrivée, ils
avaient construit la moitié d’une palissade de bois et planté les piliers de
bois de leur salle principale, mais notre apparition à l’orée des bois leur fit
lâcher leurs outils et brandir leurs lances. Nous étions trois fois plus
nombreux qu’eux, mais Griffid ne parvint tout de même à nous persuader de
charger leur alignement serré de boucliers et de lances farouches. Les plus
jeunes étaient assez zélés et il s’en trouva même quelques-uns pour caracoler
comme des sots devant les Saxons, mais nous ne fûmes jamais assez nombreux pour
charger tandis que les Saxons faisaient fi de nos sarcasmes et que le reste de
la troupe de Griffid se gorgeait d’hydromel et maudissait notre empressement.
Pour moi, qui mourais d’envie de gagner un anneau de guerrier fabriqué avec du
fer saxon, c’était folie que de ne pas attaquer, mais je n’avais pas encore
fait mon baptême de la boucherie de deux rangées hermétiques de boucliers, ni
appris combien il est dur de persuader des hommes d’offrir leurs corps à cet
effroyable ouvrage. Griffid fit quelques timides efforts pour nous encourager à
attaquer ; puis il se contenta de boire son hydromel et de crier des
insultes ; ainsi restâmes-nous trois heures ou plus face à l’ennemi sans
jamais avancer de plus de quelques pas.
La
pusillanimité de Griffid me donna au moins l’occasion d’examiner les Saxons
qui, en vérité, n’avaient pas l’air si différents de nous. Ils avaient
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