Le Roi de l'hiver
bien que l’horizon, à l’ouest, fût zébré d’une aigre lumière jaune. Les
arbres étaient flétris par l’hiver, l’herbe d’une noirceur sinistre, et la
fumée des âtres s’accrochait au sol comme effrayée du ciel froid et vide.
« Sais-tu
pourquoi Merlin a quitté Ynys Wydryn ? demanda-t-elle soudain, me
surprenant par sa question.
— Pour
trouver la Connaissance de la Bretagne, répondis-je, répétant ce qu’elle avait
dit au Grand Conseil de Glevum.
— Mais
pourquoi maintenant ? Pourquoi pas dix ans plus tôt ? me demanda
Nimue avant de répondre à sa propre question. Il est parti maintenant, Derfel,
parce que nous entrons dans une sale période. Tout ce qui est bon va devenir
mauvais, et tout ce qui est mal va empirer. Tout le monde, en Bretagne,
rassemble ses forces parce que chacun sait que l’heure de la grande lutte approche.
Je me dis parfois que les Dieux se jouent de nous. Ils amassent tous les
projectiles à la fois pour voir comment ça va tourner. Les Saxons se renforcent
et bientôt ils vont attaquer en hordes, non pas en bandes. Les chrétiens
– elle cracha dans le ruisseau pour conjurer le mauvais sort –
disent qu’il y aura bientôt cinq cents hivers que leur misérable Dieu est
mort et prétendent que ça veut dire que leur heure de gloire est
proche. »
Elle cracha de
nouveau.
« Et nous
les Bretons ? Nous nous entre-tuons, nous nous volons, nous construisons
de nouvelles salles de banquet lorsque nous devrions forger des épées et des
lances. Nous allons être mis à l’épreuve, Derfel, voilà pourquoi Merlin
rassemble sa force, car si les rois ne nous sauvent pas, ce sera à Merlin de
persuader les Dieux de venir à notre secours. »
Elle s’arrêta
à côté d’une mare et scruta l’eau noire, qui avait cette immobilité glacée qui
vient juste après le gel. Dans les traces de sabot du bétail, au bord de la
mare, l’eau était déjà gelée.
« Et
Arthur ? Il ne va pas nous sauver ? »
Elle me
gratifia d’un vague sourire.
« Arthur
est pour Merlin ce que tu es pour moi. Arthur est l’épée de Merlin, mais aucun
de nous ne peut vous contrôler. Nous vous donnons la force – de la
cicatrice de sa main gauche elle effleura le pommeau de mon épée – puis
nous vous laissons aller. Nous devons vous faire confiance pour faire ce qu’il
faut.
— Tu peux
me faire confiance. »
Elle soupira
comme elle faisait toujours quand je tenais des propos de ce genre, puis elle
secoua la tête.
« Lorsque
viendra l’Épreuve de la Bretagne, Derfel, et elle viendra, aucun de nous ne
saura quelle sera la force de notre épée. »
Elle se
retourna vers les remparts de Caer Cadarn pavoises aux couleurs de tous les
seigneurs et les chefs venus assister, le lendemain, à l’acclamation de
Mordred.
« Imbéciles,
fit-elle amère, imbéciles. »
Arthur arriva
le lendemain. Il vint peu après l’aube ; il avait fait la route avec
Morgane depuis Ynys Wydryn. Il était accompagné de deux guerriers seulement :
les hommes étaient tous trois montés sur leurs grands chevaux, bien qu’ils
n’eussent ni boucliers ni armures, juste des lances et des épées. Arthur
n’apporta même pas son étendard. Il était très détendu, presque comme si cette
cérémonie n’était pour lui qu’une simple curiosité. Agricola, le chef de guerre
romain de Tewdric, était venu à la place de son maître qui avait la fièvre, et
Agricola semblait avoir lui aussi l’esprit ailleurs, mais autrement, à Caer
Cadarn, tout le monde était tendu, redoutant que les augures du jour ne fussent
mauvais. Le prince Cadwy d’Isca était là, avec ses joues bleues de tatouages.
Le prince Gereint, Seigneur des Pierres, était venu de la frontière saxonne, et
le roi Melwas de Venta, alors en pleine débandade. Toute la noblesse de
Dumnonie, plus d’une centaine d’hommes, attendait dans le fort. Après la neige
fondue de la nuit, Caer Cadarn n’était que plaque de verglas et boue, mais aux
premières lueurs du jour souffla de l’ouest un vent froid ; et lorsque
Owain sortit de la salle avec le bébé royal, le soleil brillait au-dessus des
collines qui entouraient les abords orientaux de Caer Cadarn.
C’est Morgane
qui avait fixé l’heure de la cérémonie après avoir lu les augures dans le feu,
l’eau et la terre. Comme il était prévisible, ce fut une cérémonie matinale,
car il ne sort rien de bon des démarches entreprises quand le soleil
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