Le Roi de l'hiver
convulsions, et chacun de ses spasmes voulait dire
quelque chose pour Balise et Morgane. Morgane se précipita pour l’observer de
plus près tandis qu’il se contorsionnait, frissonnait et se contractait.
L’espace de quelques secondes, ses jambes furent saisies d’un tremblement, puis
ses boyaux lâchèrent, il rejeta la tête en arrière et un râle s’étouffa dans sa
gorge. Un grand jet de sang gicla aux pieds de Morgane quand il rendit l’âme.
Quelque chose
dans l’attitude de Morgane nous dit que l’augure était mauvais et son humeur
lugubre se propagea à la foule qui attendait le verdict redouté. Morgane
retourna auprès de Balise qui partit d’un ricanement rauque et irrespectueux.
Nimue était allée inspecter le filet de sang puis le corps, après quoi elle
rejoignit Morgane et Balise, tandis que l’assemblée attendait. Elle attendit
encore.
Morgane finit
par retourner vers le corps. Elle s’adressa à Owain, le champion du roi qui se
tenait à côté du bébé, mais tout le monde tendit l’oreille pour l’entendre
parler : « Le Roi Mordred, dit-elle, aura la vie longue. Il sera chef
de bataille et il connaîtra la victoire. »
Un soupir
parcourut la foule. L’augure se prêtait à une lecture favorable, mais tout le
monde savait, je crois, que bien des choses avaient été passées sous silence, et
quelques personnes présentes se souvenaient de l’acclamation d’Uther, lorsque
le filet de sang et les soubresauts de l’agonie avaient prédit véridiquement un
règne de gloire. Reste que, même sans gloire, l’augure de la mort de Wlenca
ménageait quelque espoir.
Cette mort mit
fin à la cérémonie d’acclamation de Mordred. La malheureuse Norwenna, inhumée
sous la Sainte-Épine d’Ynys Wydryn, aurait fait les choses tout autrement.
Pourtant, quand bien même un millier d’évêques et une myriade de saints se
seraient rassemblés pour accompagner de leurs prières l’intronisation de
Mordred, les augures eussent été pareils. Car Mordred, notre roi, était
estropié. Aucun druide ni aucun évêque n’y pouvait rien changer.
*
Tristan de
Kernow arriva dans l’après-midi. Nous festoyions dans la grande salle en
l’honneur de Mordred, et l’événement brillait par le manque d’allégresse, mais
l’arrivée de Tristan assombrit encore l’atmosphère. Nul ne parut même remarquer
son arrivée avant qu’il ne s’approche du grand feu central et que les flammes
ne miroitent sur son plastron de cuir et son casque de fer. Le prince était
connu pour être un ami de la Dumnonie et c’est ainsi que Mgr Bedwin lui
souhaita la bienvenue, mais pour seule réponse Tristan tira son épée.
Le geste
imposait aussitôt l’attention car personne n’était censé entrer dans une salle
de banquet avec une arme, encore moins dans une salle où l’on célébrait
l’acclamation d’un roi. Une partie des hommes étaient ivres, mais même eux
firent silence en dévisageant le jeune prince aux cheveux noirs.
Bedwin feignit
d’ignorer le sabre tiré.
« Tu es
venu pour l’acclamation, Seigneur Prince ? Sans doute as-tu été
retardé ? Le voyage est si difficile en hiver. Viens, prends un siège ici.
À côté d’Agricola de Gwent ? Il y a de la venaison.
— Je suis
venu me plaindre », tonna Tristan.
Il avait posté
six gardes à la porte, où il tombait de la neige fondue. Les gardes avaient la
mine sinistre avec leur armure mouillée, leurs manteaux dégoulinants, leurs
boucliers dressés et leurs lances affûtées.
« Pour te
plaindre ! fit Bedwin, comme si l’idée même lui semblait extraordinaire.
Pas un jour aussi mémorable, certes pas ! »
Certains
guerriers lancèrent des défis en grondant. Ils étaient assez ivres pour
apprécier la bagarre, mais Tristan fit celui qui ne remarquait rien.
« Qui
parle au nom de la Dumnonie ? » demanda-t-il.
Il y eut un
instant d’hésitation. Owain, Arthur, Gereint et Bedwin, tous avaient de
l’autorité, mais aucun n’avait la suprématie. Le prince Gereint, qui n’était
pas homme à se mettre en avant, écarta la question d’un haussement d’épaules,
Owain dévisagea Tristan d’un air sinistre, tandis qu’Arthur s’en remit
respectueusement à Bedwin, qui suggéra, très timidement, qu’en sa qualité de
principal conseiller du royaume il avait plus de titres que quiconque à
s’exprimer au nom du roi Mordred.
« Alors
dis au roi Mordred, fit Tristan, qu’il y aura du sang
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