Le Roman d'Alexandre le Grand
troublé. « Il serait stupide de ma part de mentir : je sais
que tu pourrais facilement vérifier mes dires auprès de Parménion.
— Mais avez-vous la preuve que
mon cousin a l’intention d’accepter l’argent et la proposition du Grand
Roi ?
— Non, en théorie. Mais
réfléchis un peu, sire. Le roi Darius n’aurait jamais fait une telle promesse
et risqué une telle somme d’argent s’il n’avait pas eu quelque chance de succès.
Connais-tu un homme capable de résister aux flatteries du pouvoir et de la
richesse ? Si j’étais à ta place, je ne courrais pas ce risque. Avec tout
cet argent, ton cousin pourrait engager mille tueurs, enrôler une armée
entière.
— Serais-tu en train de me
suggérer ma conduite ?
— Les dieux m’en gardent. Je
suis un fidèle serviteur qui a accompli son devoir en traversant des montagnes
enneigées, en subissant la faim et le froid, en risquant à plusieurs reprises
sa vie sur les territoires que dominent encore les soldats et les espions du
Grand Roi. »
Alexandre s’abstint de lui répondre,
mais il comprit qu’il n’avait pas le choix, qu’il était contraint à prendre une
décision. Sisinès interpréta son silence de la façon la plus logique qui
soit :
« Le général Parménion m’a
ordonné de lui apporter ta réponse au plus vite. Je la lui délivrerai de vive
voix. D’autre part, le général m’honore de sa confiance totale. »
Alexandre lui tourna le dos afin que
l’Égyptien ne puisse pas lire sur son visage les pensées qui lui traversaient
l’esprit. Après avoir réfléchi un moment, pesé le pour et le contre, il fit
volte-face et dit :
« Voilà ce que tu rapporteras
au général Parménion.
J’ai reçu ton message et je te
remercie d’avoir éventé un complot qui aurait pu gravement nuire à notre
entreprise et causer ma mort.
D’après ce qui m’a été rapporté,
nous ne possédons toutefois aucune preuve que mon cousin a l’intention
d’accepter cet argent et cette proposition.
Je te demande donc de le mettre aux
arrêts jusqu’à mon arrivée. Je l’interrogerai alors personnellement. Mais je
veux qu’il soit traité ainsi qu’il convient à son rang et à son grade. J’espère
que tu te portes bien. Prends soin de toi.
« Et maintenant, répète »,
ordonna Alexandre.
Sisinès le regarda droit dans les
yeux et répéta mot pour mot ce message sans s’interrompre ni hésiter.
« Très bien, répliqua le roi en
masquant sa stupeur. Maintenant, va te restaurer. On te donnera un logement
pour la nuit. Quand tu te sentiras prêt et reposé, tu pourras repartir.
— Je me contenterai d’une
besace contenant de la nourriture et une outre d’eau. Je compte reprendre la
route sans tarder.
— Attends. »
Sisinès, qui était en train de
s’incliner, se redressa aussitôt : « À tes ordres.
— Combien de temps as-tu mis
pour venir ici après avoir quitté le général ?
— Onze journées de route à dos
de mulet.
— Dis à Parménion que je
partirai dans cinq jours au plus tard et que je le rejoindrai à Gordion onze
jours plus tard.
— Veux-tu que je répète aussi
ce message ? »
Alexandre secoua la tête. « Ce
n’est pas nécessaire. Je te remercie des renseignements que tu m’as apportés et
je dirai à Eumène de te donner une récompense. »
Sisinès s’indigna : « La
satisfaction d’avoir contribué à sauvegarder ta personne est une récompense
suffisante, sire. Je n’exige rien d’autre. » Il lui lança un regard
mystérieux avant de s’incliner respectueusement et de sortir. Alexandre
s’affala sur un tabouret et se prit la tête dans les mains.
Il demeura longtemps dans cette
position : ses pensées le ramenèrent à l’époque où, enfant, il jouait au
ballon et à cache-cache avec ses compagnons et ses cousins. Il avait envie de
crier ou de pleurer.
Leptine s’approcha d’un pas feutré
et posa ses mains sur les épaules du roi. « De mauvaises nouvelles, mon
seigneur ?
— Oui », répondit
Alexandre sans se retourner.
Elle pressa sa joue contre son
épaule. « J’ai réussi à trouver du bois et à chauffer de l’eau.
N’aimerais-tu pas prendre un bain ? »
Le souverain acquiesça. Il suivit la
jeune femme dans la partie privée du pavillon royal, où fumait une baignoire
remplie d’eau bouillante, et il se laissa déshabiller. La nuit était tombée
depuis longtemps et Leptine avait allumé une lanterne.
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Avec
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