Le Roman d'Alexandre le Grand
lui. »
Le vieillard fit un pas en avant et
dit en perse : « Je suis le grand-père de l’enfant, tu peux me le
confier, si tu le juges bon. »
Dès que l’interprète eut traduit ses
mots, Alexandre se pencha vers Phraatès, qui essuyait ses larmes avec la manche
de sa tunique. « Regarde, ton grand-père est là, lui dit-il. Va le
rejoindre. »
L’enfant tourna vers lui son visage
couvert de poussière et le fixa de ses yeux brillants avant de murmurer :
« Merci. » Puis il courut vers le vieillard, qui tomba à genoux et le
serra contre lui.
Tout le monde se tut, les
prisonniers reculèrent vers le fond de la tente, et l’on n’entendit plus que
les sanglots de l’enfant et les pleurs étouffés du vieux satrape. Alexandre
était également très ému, il dit à Eumène : « Et maintenant, laisse
leur épancher leur chagrin, après quoi tu organiseras les funérailles de
Barsine selon les souhaits de son père. Dis-lui qu’il sera réintégré dans sa
charge de gouverneur de Pamphylie, qu’il conservera ses privilèges et ses
propriétés et qu’il pourra élever le petit ainsi qu’il le croira
opportun. »
L’attention d’Alexandre fut bientôt
attirée par un guerrier d’un certain âge qui arborait encore son armure de
combat. Son corps et son visage portaient les signes de la bataille.
« C’est Mazéos », murmura
Eumène à l’oreille d’Alexandre. Celui-ci chuchota à son tour quelques mots à
l’adresse de son secrétaire, puis il quitta la tente.
Il regagna le campement sous les
ovations de l’armée, rangée sur six lignes, et des officiers à pied et à
cheval. Bien que blessé, Parménion leur ordonna de présenter leurs armes, et
les hétairoï brandirent leurs lances tandis que les pézétairoï soulevaient
leurs énormes sarisses dans un claquement sec. Ses compagnons étaient au
salut ; Cratère et Perdiccas étalaient leurs blessures au grand jour.
Le roi poussa Bucéphale sur une
petite hauteur, et c’est de cette estrade naturelle qu’il remercia et salua son
armée. « Hommes ! », s’écria-t-il. Un profond silence descendit
aussitôt sur le camp, seulement brisé par le crépitement des derniers feux.
« Hommes, le soir va tomber, et, comme je vous l’avais promis, nous avons
vaincu ! »
Un grondement se répandit d’un bout
à l’autre du campement, un cri rythmé et puissant monta vers le ciel dans le
vacarme des armes heurtées :
Alexandre ! Alexandre !
Alexandre !
« Je veux remercier nos amis
thessaliens ainsi que les cavaliers macédoniens qui sont arrivés juste à temps,
surgissant de l’autre extrémité de la mer pour prendre part au combat et en
sauver l’issue. Je vous attendais avec impatience, hommes ! » Les
Thessaliens et les Macédoniens des nouveaux régiments lui répondirent par une
acclamation. « Et je veux remercier nos alliés grecs qui ont résisté sur
la droite : je sais que leur tâche a été rude ! » Les Grecs
commencèrent à marteler leurs boucliers de leurs épées. « Maintenant,
reprit le souverain, l’Asie entière nous appartient, avec tous ses trésors et
toutes ses merveilles. Désormais aucune entreprise ne nous est impossible,
aucun prodige ne nous est interdit, aucune frontière ne nous est inaccessible.
Je vous conduirai jusqu’aux confins du monde. Etes-vous prêts à me suivre,
hommes ?
— Nous sommes prêts,
sire ! s’écrièrent les fantassins et les cavaliers en agitant
frénétiquement leurs lances.
— Alors, écoutez-moi
bien ! Nous allons marcher sur Babylone. Ainsi, vous verrez la plus grande
et la plus belle ville du monde, et vous vous reposerez après tous vos efforts.
Nous reprendrons ensuite notre marche et nous ne nous arrêterons pas tant que
nous n’aurons pas atteint les rives de l’extrême océan. »
C’est alors qu’une rafale de vent
souffla. Bien vite, elle se renforça, soulevant une légère poussière et faisant
ondoyer les cimiers sur les casques. Ce vent semblait venir de très loin, portant
des voix affaiblies et presque oubliées.
Le roi mesura la nostalgie qui
s’emparait de ses hommes à l’heure où le soir tombait, il devina l’effroi qui
les tenaillait quand ils l’écoutaient parler, et il ajouta : « Je
vous comprends, je sais que vous avez laissé derrière vous vos épouses et vos
enfants, et que vous désirez les revoir, mais le Grand Roi n’est pas totalement
défait : il s’est enfui dans les régions les plus
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