Le Roman d'Alexandre le Grand
roi
tint un conseil de guerre sous sa tente. Il y avait là l’amiral Néarque, le
vice-amiral Onésicrite - qui s’était distingué dans les opérations de
franchissement des fleuves et dans la descente de l’Indus d’Aornos à Taxila –,
Héphestion, Perdiccas, Cratère, Léonnatos, Séleucos, Ptolémée et Lysimaque.
Avec la disparition de la vieille garde de Philippe, les garçons de Miéza
étaient devenus les commandants suprêmes des grandes unités de combat.
Il y avait aussi un roi indien du
nom de Phagaïs, qui connaissait bien les territoires situés au-delà de
l’Hyphase.
Alexandre commença : « Mes
amis, nous sommes arrivés là où jamais aucun Grec n’était parvenu, nous avons
traversé les lieux que le dieu Dionysos avait atteints lors de sa
pérégrination. Et nous avons réussi cet exploit grâce à votre courage
extraordinaire, à votre tempérament exceptionnel, à votre héroisme et à celui
de nos soldats. Il nous reste un dernier pas à accomplir. Une fois que nous
aurons franchi le dernier affluent de l’Indus, plus aucun obstacle ne nous
arrêtera jusqu’au Gange et aux rivages de l’Océan. Nous aurons mené à terme
l’entreprise la plus glorieuse qui ait jamais été réalisée dans toute
l’histoire des hommes et des dieux. Nous aurons donné corps au plus grand rêve
qui ait jamais été conçu. Et maintenant, l’amiral Néarque va nous expliquer le
projet qu’il a mis au point pour traverser le fleuve. Après quoi, les
commandants des unités de combat exposeront leur point de vue sur l’ordre de
marche à tenir. »
C’est alors qu’éclata un coup de
tonnerre, si fort qu’il fit trembler les objets posés sur la table. Suivirent
d’interminables instants de silence, et le bruit de la pluie sembla augmenter
jusqu’à l’invraisemblable.
Ptolémée échangea un coup d’œil
rapide avec Séleucos. Puis il dit : « Alexandre, nous t’avons suivi
jusqu’ici, et nous sommes disposés à te suivre encore, à marcher dans la boue
et dans les marais, au milieu des serpents et des crocodiles, nous sommes
disposés à traverser d’autres déserts et d’autres montagnes, mais tes soldats,
eux, ne le sont pas. » Alexandre lui jeta un regard plein de stupeur,
comme s’il ne parvenait pas à en croire ses oreilles. « Tes hommes ont
épuisé toute leur énergie, ils n’en peuvent plus.
— Ce n’est pas vrai !
s’exclama Alexandre. Ils ont battu Porus et conquis des dizaines de villes.
— Voilà pourquoi ils sont
épuisés. Est-ce que tu ne t’en rends pas compte ? Regarde-les, Alexandre,
arrête-toi et regarde-les avancer sous la pluie incessante et dans la boue, les
joues couvertes de barbe, les yeux rougis par le manque de sommeil. As-tu
compté les morts qui t’ont permis de réaliser ton rêve ? Les as-tu
comptés, Alexandre ? Ils ont été tués par des blessures, par des plaies
qui ne se sont pas cicatrisées, par la gangrène, le venin des serpents, la
morsure des crocodiles, par des fièvres pestilentielles, par la dysenterie.
Amaigris et émaciés, ils se sont traînés jusqu’à ces confins du monde, mais ils
ont peur : pas des ennemis, de leurs chars de guerre et de leurs
éléphants, non ! Ils ont peur de cette nature épouvantable et étrangère,
de ce ciel perpétuellement secoué par le tonnerre et déchiré par les éclairs,
des monstres qui rampent dans les forêts et les marais ; ils ont même peur
du firmament nocturne lorsqu’ils voient les constellations auxquelles ils sont
habitués disparaître sous le fil de l’horizon. Regarde-les, Alexandre. Ce ne
sont plus eux : leurs vêtements sont déchirés, ils sont obligés de se
couvrir de chiffons ou d’adopter les habits des barbares qu’ils ont vaincus,
les sabots de leurs chevaux sont usés à cause des marches sans fin, et ils
laissent des traces sanguinolentes sur la terre.
— J’ai souffert des mêmes maux,
j’ai subi à leurs côtés le froid, la faim et la soif, la pluie et les
blessures ! s’écria le roi en découvrant sa poitrine sillonnée de
cicatrices.
— Oui, mais ils n’ont pas la
même énergie que toi, ni la même force vitale. Ce ne sont que des hommes. Et
ils sont épuisés, déprimés, prostrés. Ils n’ont plus aucune nouvelle de leurs
familles depuis des années ; ils pensent avec nostalgie à leurs femmes et
à leurs enfants qu’ils ont quittés depuis trop longtemps.
« Pense à ceux que tu as
consignés dans les garnisons, en
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