Le sac du palais d'ete
Pierre de Lune, ému aux larmes par le souvenir de sa visite en compagnie de sa chère et douce Laura, avait retrouvé la pagode de l’Illumination.
Habitué des lieux, Noblesse de la Vérité y était connu comme le loup blanc. À peine avait-il guidé son buffle à l’intérieur de l’immense avant-cour du temple, qu’une nuée de bonzes s’était ruée sur sa carriole en riant aux éclats. En quelques secondes, ils en avaient effectué le déchargement puis ils avaient aspergé d’eau le buffle avant de l’étriller copieusement et de lui donner quelques feuilles de canne à sucre à mastiquer. Le spectacle de ces tiges flexibles qui pendaient, tels de verdoyants jets d’eau, hors de la bouche du buffle était si drôle que les moines avaient éclaté de rire. La Pierre de Lune, qui avait furieusement besoin de décompresser après les affres de sa sortie du presbytère, s’était esclaffé à son tour. Après ces jours terribles où s’étaient accumulés tant de malheurs, de coups de théâtre, de contrariétés et de faux espoirs, la pagode de l’Illumination lui était apparue comme un havre de paix situé à l’écart du monde, un lieu divin où, grâce à la présence du Bienheureux Bouddha, les blessures du malheur étaient susceptibles de faire un peu moins mal, un refuge accueillant aux accents mystérieux où les accidentés de la vie trouvaient le réconfort nécessaire pour se relever et continuer à marcher… en un mot, un endroit où il sentait qu’il pourrait doucement se reconstruire pour mieux repartir de l’avant par la suite.
Après ses prières habituelles, Noblesse de la Vérité s’apprêtait à prendre congé de La Pierre de Lune lorsque ce dernier lui avait annoncé :
— Je voudrais passer un peu de temps ici. Comment dois-je faire ?
— Rien de plus facile. Il suffit d’obtenir l’accord d’Illumination Subite. C’est le Père Supérieur. Suis-moi !
Sans perdre une minute, le cultivateur l’avait amené auprès du moine qui présidait aux destinées du millier de bonzes et de novices que comptait le monastère associé à la Grande Pagode. Lorsqu’il avait pénétré dans l’antre d’Illumination Subite, une pièce minuscule dépourvue du moindre meuble où le religieux méditait sur un simple lit de planches, La Pierre de Lune n’en menait pas large et frissonnait des pieds à la tête. L’homme qui était capable, pour apitoyer les fidèles, de mettre des ascètes dans des cages suspendues au plafond de la salle de l’Enfer ne devait pas être un enfant de chœur… À sa grande surprise, lorsque le cultivateur avait gratté à la porte, loin du monstre auquel il s’attendait, c’était un homme au physique d’ascète dont le regard lumineux et rassurant éclairait une face totalement dépourvue de rides qui était venu leur ouvrir.
— Quel bon vent t’amène ici, ô Noblesse de la Vérité ? J’ai toujours un grand plaisir à te voir… Comment va ta famille ?
Il était impossible à La Pierre de Lune de donner un âge quelconque à ce bonze qui venait de fêter ses quatre-vingts ans, même si, en raison de ses fonctions de chef de la communauté monastique, on pouvait en déduire qu’il en était l’un des plus anciens membres.
— Tout le monde va bien. Je suis venu vous présenter un ami qui souhaiterait habiter quelque temps ici…
Les yeux de braise du vieux moine, dont La Pierre de Lune ne mesurait pas ce qu’ils pouvaient avoir, aussi, de redoutable, s’étaient longuement attardés sur lui, comme si le moine cherchait à percer ses motivations.
— Tu veux donc intégrer la communauté monastique ? lui avait-il demandé.
— Je ne sais pas encore si j’en serai digne !
— En as-tu envie ?
— Oui ! avait répondu le fils caché de l’empereur Daoguang, loin de se douter à quoi il s’engageait.
— Sais-tu que lorsqu’on devient bonze et qu’on a juré de respecter les Dix Interdictions {24} , on le reste jusqu’à la fin de ses jours ?
— Je le sais !
Le vieux moine Illumination Subite s’était approché de La Pierre de Lune, puis avait posé sa main sur son crâne. Alors, le jeune Chinois jusque-là pétri d’angoisse avait eu l’impression qu’on lui ôtait du cœur un poids énorme et que son corps se vidait peu à peu de tous les miasmes qui s’y étaient accumulés.
— Sois le bienvenu ici ! Le Bienheureux te prend sous sa protection ! La fleur d’altitude
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