Le sac du palais d'ete
souriantes, amincies et blanchâtres d’où elle s’échappait.
— Des mauvais garçons ont balancé des pétards dans les jambes de mon fils, du coup, ses petites oreilles n’entendent plus rien.
— Veuillez me suivre, le Bouddha débouche les oreilles et ouvre les yeux de tous ceux qui cherchent la Voie, avait aussitôt répondu le moine tibétain à Bouquet de Poils Céleste avant de les conduire devant une fort belle statue en bois de santal de Vajrasattva, l’Adibouddha ou Bouddha Suprême.
Assise dans la posture du diamant {22} , la divinité, entièrement nue, ne portait qu’un diadème incrusté de turquoises et des brassards omés de lapis-lazulis. La Pierre de Lune, dont les oreilles continuaient à ne rien entendre, avait été frappé par son regard joyeux, empreint de cette ineffable douceur qui vous inondait le cœur. Autour d’elle, des moines en habits rouges soufflaient dans des trompes, égrenaient des chapelets mâlâ aux cent huit grains, agitaient des tambours-sabliers à boules fouettantes faits de corne de rhinocéros et de peau de singe et faisaient tourner des moulins à prières disséminés dans le déambulatoire. D’une voix si basse qu’elle paraissait venir d’outre-tombe, tous les lamas psalmodiaient la célèbre formule sacramentelle du mantra Om mani padme hum {23} .
Cette plongée dans ce monde obscur et magique s’était achevée par l’imposition des mains du vieux moine sur les tempes de La Pierre de Lune. Après avoir invoqué l’Adibouddha, le lama lui avait soufflé très fort dans les oreilles et, en quelques instants, il avait totalement recouvré l’ouïe. Au moment où le vieil homme l’avait béni, il avait été frappé par la douceur infinie de son regard bienveillant et lointain à la fois, qui paraissait scruter le vide.
— À présent, tu pourras entendre la voix du Bienheureux ! Un jour, il t’appellera. Si tu l’écoutes, tu seras sauvé ! avait murmuré le moine, toujours aussi énigmatique et souriant.
— Le monsieur ne nous a rien demandé… Il ne voulait pas d’argent ! s’était étonné le petit garçon qui avait déjà eu l’occasion d’observer l’habileté des médecins chinois lorsqu’il s’agissait de soutirer des sommes astronomiques à leurs clients.
— Ce lama est la compassion incarnée. Il souhaite faire le bien, un point c’est tout. Il ne cherche pas à gagner de l’argent, lui avait expliqué son père, sur le chemin de la maison.
— Père, qu’est-ce que la compassion ?
— L’attention aux autres. Le fait de compatir à leurs souffrances.
— Celui qui va m’appeler un jour, le Bienheureux Bouddha, qui est-ce, papa ?
Comme ils étaient arrivés à la maison, Bouquet de Poils Céleste, qui professait des idées confucéennes, avait préféré arrêter là leur conversation. Il n’était pas bien vu d’être bouddhiste, quand on était calligraphe. Pour La Pierre de Lune, l’occasion ne s’était jamais présentée de reparler du Bouddha avec son père, mais sa visite au temple des Lamas était restée gravée dans sa mémoire et lui avait donné envie de mieux connaître les Nobles Vérités du Bienheureux Siddhârta Gautama.
C’était dans cet état d’esprit que le fils caché de Daoguang regardait à présent son secourable cultivateur de canne. Il n’avait pas été surpris de constater que ses yeux avaient la même expression de bonté que ceux du vieux lama au bonnet écarlate lorsqu’il lui avait rendu l’ouïe et accordé sa bénédiction.
Noblesse de la Vérité tira d’un coup sec sur la longe de son buffle pour faire stopper sa carriole puis, une fois celle-ci immobilisée, il joignit ses mains contre son front et s’inclina respectueusement devant son passager en lui disant :
— Je l’avais deviné ! Tu as les yeux de quelqu’un qui a découvert, comme moi, la Bonté Infinie du Bouddha !
— Tu es consacré ? lui demanda La Pierre de Lune, de plus en plus intrigué par le comportement du saint homme.
— Étant marié et père de huit enfants, la vie monastique m’est hélas fermée. Mais cela ne m’empêche pas de me rendre à la pagode trois fois par jour pour y faire les offrandes et prier pour tous mes semblables. D’ailleurs, j’y vais de ce pas pour offrir au Bienheureux cette cargaison de canne à sucre. Je suis cultivateur. Je m’efforce de donner à la Grande Pagode la moitié de mes récoltes…
C’est ainsi que La
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