Le sac du palais d'ete
l’expérience de la survie et conscient d’avoir échappé à la mort, il attaquait dans une humeur carnassière chaque nouveau jour de son existence, fermement décidé à ne pas s’y ennuyer. Bien qu’échaudé par cette équipée à Canton qui avait failli si mal tourner, puis par l’ahurissante déclaration d’amour de Niggles, il n’avait pas mis en sourdine ses projets aventureux.
C’est dire s’il attendait de pied ferme ce nouveau consul de France, qu’il comptait tester au plus tôt afin de déterminer si une collaboration avec lui était possible.
Le père Freitas lui avait, à cet égard, rendu un fier service. Grâce au terrain des jésuites, Antoine était en mesure de prouver sans délai à son patron qu’il avait en sa personne un collaborateur zélé et efficace. La mise au point des actes de propriété avait occupé le plus clair de son temps depuis plusieurs semaines et le Français vouait au Portugais une reconnaissance éternelle pour son coup de main décisif.
Il faut dire que ce redoutable manœuvrier de Freitas s’y était pris comme un chef. Sous le sceau du secret, il avait commencé par faire part à Antoine du jour de l’arrivée de Montigny à Shanghai. Fort surpris par cette annonce, le Français s’était écrié sans guère d’enthousiasme :
— Vous avez toujours d’excellents tuyaux, père Freitas ! À Paris, ils n’ont même pas jugé bon d’en informer le premier intéressé.
— Les diplomates croient souvent qu’ils ont l’éternité devant eux… Je plaisante ! Enfin, l’important est que vous soyez en mesure d’accueillir dignement M. de Montigny…
— Je vous remercie de m’avoir averti ! Il risque fort de ne pas reconnaître Shanghai où il n’est pas venu depuis trois ans. Tous les jours, de nouveaux immeubles se construisent. J’espère qu’il va se plaire ici ! Patron grincheux, collaborateur malheureux… avait ajouté Antoine, sur le reculoir.
— Il s’y plaira d’autant plus qu’il pourra s’appuyer sur un collaborateur efficace… lui avait glissé le jésuite, rassurant.
— Je vais faire de mon mieux. Selon vous, comment devrais-je procéder ? Je ne connais rien de ce M. de Montigny dont, à vrai dire, je ne sais même pas ce qu’il attend de moi !
— À votre place, je ferais en sorte de pouvoir lui annoncer tout de go que la France dispose à Shanghai d’un emplacement de choix où elle pourra ériger un superbe bâtiment consulaire !
— Le terrain dont vous m’aviez parlé, le jour de mon arrivée, est-il toujours disponible ? s’était empressé de demander Vuibert.
— Parfaitement. Je n’ai qu’une parole. Il est à votre disposition !
— Et son prix ? Vous ne me l’avez pas précisé…
— Trois cents écus d’or.
— Mais c’est là une somme énorme ! avait soufflé Antoine, saisi de vertige devant l’ampleur financière de l’opération.
— Vous voulez rire ! Ce n’est pas cher du tout. Ici, sous la pression des grandes maisons de commerce, les prix du foncier doublent chaque année. La Compagnie de Jésus n’ayant pas vocation à favoriser la spéculation immobilière, je vous propose ce terrain à un prix largement inférieur à celui du marché ! avait argumenté Freitas avec l’aplomb du redoutable homme d’affaires qu’il était.
Tant bien que mal, Antoine, qui craignait la réaction de ses supérieurs, avait essayé de faire machine arrière.
— À vrai dire, je ne sais pas encore où le consul de France souhaitera s’installer. Sans compter que le ministère des Affaires étrangères est une fort lourde machine où tout remonte au ministre qui est le seul à pouvoir prendre ce genre de décision…
— J’imagine que le ministre souhaitera que la France dispose d’un bâtiment qui ne fasse pas trop ridicule à côté de celui des Anglais !
Face au silence gêné d’Antoine Vuibert, Diogo de Freitas Branco avait argumenté avec fougue, mettant sa main au feu que Charles de Montigny serait éternellement reconnaissant à son collaborateur d’avoir saisi une telle opportunité. Enfonçant le clou, le jésuite s’était livré à une analyse fouillée des avantages financiers d’une telle opération immobilière en cas de revente du terrain par la France. Puis, constatant que sa force de conviction était en train d’ébranler les réticences du Français, il lui avait porté l’estocade définitive :
— Cette affaire
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