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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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seul.
    — Buvons à la solitude.
    — Je ne peux plus boire, dit Volodia.
    Il était sur le point de s’évanouir. Mais Kisiakoff lui colla de force le bord d’une coupe contre les lèvres. Et Volodia but, avec lenteur, avec écœurement. Un goût de pourriture entrait dans sa bouche. Il n’était, des pieds à la tête, qu’une pourriture. Personne encore ne s’en apercevait, à cause des cheveux joliment coiffés et des vêtements neufs. Mais, à l’intérieur, il n’y avait qu’un vieux marécage traversé de têtards lestes et de couleuvres. Rien que d’y penser, cela donnait le frisson. Comment pouvait-il vivre avec ce cloaque pestilentiel au centre de lui-même ? Il tremblait de tendresse et de répugnance à la seule vue de sa main tenant un verre. Il posa le verre et respira le creux de sa main. Sa propre odeur lui était insupportable. Il aurait voulu se quitter.
    — Ça ne va pas, geignait-il.
    — Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Kisiakoff. Le corps ou l’âme ?
    — Les deux.
    — Tu as des ennuis.
    — Non.
    — Quel genre d’ennuis ? Argent ? Femme ?
    La voix de Kisiakoff pénétrait dans le crâne de Volodia comme un doigt crochu, furetait dans sa cervelle, dénouait des liens d’idées, grattait des croûtes de souvenirs. Un corps étranger alourdissait son front. Il secoua la tête, et la voix, le doigt, sortirent de lui.
    Il dit :
    — Oh ! la paix ! la paix !
    Cependant, il suffoquait. Il ne pouvait plus vivre avec ce secret venimeux. Il fallait que cela crève. Il fallait que cela gicle et que cela éclabousse les murs ponceau, le visage barbu de Kisiakoff, la glace nue et froide de l’armoire. Alors, délivré, purifié, il serait un autre homme, avec une âme rose bordée de dentelles. Mais que dire, par où commencer ? Affolé, le cœur battant, il quêtait un conseil dans les yeux de Kisiakoff. Et, tout à coup, il lui sembla que la figure de Kisiakoff n’était pas une figure, mais un paysage, vu de loin, avec des montagnes, des broussailles sombres, des cavernes, et deux lacs noirs, symétriques, où se figeait le reflet immobile de la lune. Il murmura :
    — Votre tête…
    — Quoi, ma tête ?
    — Elle a grandi.
    — Argent ? Femme ? répéta Kisiakoff.
    — Je suis un cochon, gémit Volodia.
    — C’est donc qu’il s’agit d’une femme, dit Kisiakoff.
    Et, attirant une chaise, il s’assit tout près de Volodia.
    — Tu peux tout me dire, mon petit. Je comprends, j’absorbe, j’excuse. Un peu de courage. Nous sommes tous fautifs lorsqu’il s’agit des femmes. Mais ces fautes-là ne pèsent pas lourd dans la main de Dieu.
    — C’est un secret, dit Volodia. Je n’ai pas le droit.
    — Ne nomme donc personne. Je tâcherai de deviner. Est-ce la femme d’un ami ?
    — D’où le savez-vous ? s’écria Volodia.
    — Je ne le sais pas, dit Kisiakoff avec un sourire de propriétaire, je le suppose. Donc, c’est la femme d’un ami.
    — Non.
    — De ton ami d’enfance ?
    — Non.
    — S’agirait-il de Tania ?
    Volodia regardait devant lui d’un air têtu et rancunier. La bouche de Kisiakoff frémissait bizarrement, luisante comme une limace, sous la moustache dépeignée. Toute sa figure exprimait une convoitise. Une dernière fois, Volodia songea qu’il n’avait aucune raison de se confier à cet homme et qu’il regretterait toujours les paroles qu’il allait prononcer. Brusquement, Kisiakoff cria :
    — Mais parle donc, idiot !
    Volodia tressaillit sans répondre.
    — Tu as couché avec elle, et puis après ? La belle affaire !
    — Mais…, mais c’est la femme de Michel, dit Volodia. Mon meilleur ami.
    — Il faut bien que les meilleurs amis servent à quelque chose.
    Une indignation sommaire traversa l’esprit de Volodia. Il n’espérait pas l’acquittement, mais l’injure. En l’excusant avec cette aisance, Kisiakoff réduisait son aventure tragique aux dimensions d’une furtive amourette.
    — Vous parlez sans savoir, gronda Volodia. Nous étions comme des bêtes, derrière son dos. Nous nous cachions. Le soir, je dînais à leur table, en face de lui. Il plaisantait avec moi. Il était gentil, droit et propre. Oh ! c’est épouvantable d’être si propre…
    Ayant lâché le premier aveu, il ne pouvait plus s’arrêter. Un flot de paroles, longtemps

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