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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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met-on ?
    — Qu’est-ce que c’est ?
    — Archives de la police.
    — Au Soviet.
    — Non, chez Kérensky…
    Un peu plus loin, une patrouille d’ouvriers armés conduisait vers les bureaux des prisonniers civils aux faces sacrifiées. Qui étaient-ils, ces inconnus, qui passaient, tête basse, l’échine tremblante ? Des ministres déchus, des généraux déguisés, des agents provocateurs ? Sheglovitoff, Sturmer, l’amiral Girs étaient arrêtés. Les pièces secondaires craquaient sous le poids des gendarmes qu’on y avait entassés en vrac. Nicolas avisa un appariteur, aux favoris grisonnants, aux yeux rougeâtres et tristes, qui marchait en rasant les murs. Il s’approcha de lui et demanda :
    — Le Comité exécutif du Soviet ?
    L’homme sursauta comme si on lui eût appliqué la pointe d’une baïonnette sur la poitrine. Son regard devint trouble. Il murmura :
    — Je ne le sais pas, monsieur l’aspirant, pardon, camarade… J’étais appariteur à l’ancienne Douma… Alors, j’aurais pu vous informer… Mais maintenant…
    De grosses larmes sortirent de ses paupières et coulèrent le long de son nez boursouflé de fibrilles violettes. Il hoqueta :
    — Vrai…, actuellement, avec ce qui se passe…
    Puis, il se moucha et partit en trottinant pour se fondre dans la mêlée.
    Au buffet, où Nicolas échoua, en désespoir de cause, nul ne fut en mesure de le renseigner. Bien qu’il n’y eût plus rien à boire ni à manger, les soldats demeuraient là, immobiles, émerveillés, serrés côte à côte dans une puanteur fraternelle. Le restaurateur se désolait parce que toutes ses cuillères en argent avaient disparu. Un groupe d’officiers parlaient à voix basse dans l’encoignure d’une fenêtre. En s’avançant vers eux, Nicolas entendit facilement leur conversation.
    — Il s’agit d’une crise, messieurs, et rien de plus, disait un lieutenant cosaque. Le général Ivanoff marche déjà sur Pétrograd, avec deux brigades prélevées sur le front, et deux bataillons de chevaliers de Saint-Georges.
    — Où se trouvent-ils ? demanda un capitaine congestionné, aux moustaches noires et raides comme une brosse à graisse.
    — Le 171 e  doit être à une heure d’ici.
    — Et l’empereur lui-même ?
    — Il partira pour Tsarskoïé-Sélo rejoindre la famille impériale, et, de là, il dirigera les mouvements de police qui lui rendront sa capitale.
    — En somme, vous estimez, reprit le capitaine, que la révolution sera étouffée dans les quarante-huit heures ?
    Une onde glacée recouvrit les épaules de Nicolas. Si ces hommes disaient vrai, si le tsar avait envoyé des troupes fraîches et bien encadrées contre les révolutionnaires, quel châtiment attendrait au réveil les ouvriers et les soldats qui avaient osé renier leurs maîtres ? La répression serait automatique. On broierait les dernières résistances dans des mares de cervelle et de sang. On précipiterait dans les cachots, dans les bagnes sibériens, ou sous le feu des pelotons d’exécution, les plus ardents défenseurs de la liberté. Et nul ne s’en doutait parmi les braves gars qui s’assemblaient comme des moutons grisâtres sous les lambris du palais de Tauride. Nul ne s’en doutait parmi les orateurs qui clamaient, du haut d’une table, leur foi en l’avenir et leur haine du passé. Nul ne s’en doutait même, peut-être, au Comité exécutif. Il fallait prévenir à tout prix cette immonde boucherie. Entourer la capitale d’un cordon de protection. Nommer des officiers sûrs aux postes de commande. Tout à coup, pour cela seulement qu’elle était menacée, la révolution devenait plus chère à Nicolas que sa propre vie. Il avait oublié le pillage des magasins, le commissariat incendié, les bagnards évadés, les prisonniers allemands se réfugiant à la légation de Suède. Il ne pensait qu’à la masse immense, anonyme, des émeutiers qui fêtaient leur victoire au moment précis où elle risquait de se transformer en défaite. Une tendresse épaisse étouffait son cœur. Il regardait amoureusement la foule des soldats. Il avait envie de les sauver, de mourir pour eux, d’être utile. Faisant un pas, il salua les officiers et demanda brièvement :
    — Le Comité exécutif du Soviet ?
    — Vous voulez parler de la Commission militaire, sans doute ?
    — Non, j’ai

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