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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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bien dit : le Comité exécutif.
    — Le Soviet siège dans la treizième chambre, dit le capitaine. Mais on vous refoulera. C’est déjà bondé de monde.
    — Merci, dit Nicolas.
    Et, oubliant ses mitrailleurs, il se rua en courant dans le corridor. Mais, devant la porte de la treizième chambre, il dut encore discuter avec la sentinelle, qui exigeait un mandat. Nicolas invoqua l’urgence, parla de complot contre la révolution, montra les petites mitrailleuses brodées sur ses épaulettes, son ruban rouge, se fâcha, cria. Enfin, le factionnaire, de guerre lasse, le laissa passer. Dès qu’il pénétra dans la grande pièce bourdonnante des voix s’élevèrent pour protester :
    — Qu’est-ce que c’est ?
    — On n’entre pas !
    — Nous sommes en séance !
    — Impossible de travailler dans ces conditions !
    Derrière l’écran d’une fumée âcre et bleue, Nicolas aperçut quelques députés, mal rasés, chiffonnés, nerveux, cramponnés au disque d’une nappe verte. D’autres députés, des ouvriers, des soldats étaient installés autour d’eux, sur des bancs, par terre, sur le bord des fenêtres. L’ensemble formait une sorte d’éponge monstrueuse, un madrépore de têtes superposées, qui n’avaient pas de centre et oscillaient selon la volonté des courants sous-marins. Les barbes des uns servaient de cheveux aux autres. Les yeux, les mains n’appartenaient à personne en particulier. Les bouches s’ouvraient par-ci par-là, comme les pores d’une même bête. Et c’était la même voix qui sortait, tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt en bas, tantôt en haut, sous une moustache, entre des lèvres nues, ou par le trou d’un massif pileux. Après un moment de stupéfaction, Nicolas reconnut cependant la pomme d’Adam saillante et la barbiche grise de l’un des députés. C’était Tchkéidzé, le leader des mencheviks de Géorgie, président du Comité exécutif. Ce fut vers lui que Nicolas se tourna pour crier :
    — Camarade, je m’excuse de troubler votre réunion, mais j’arrive de Martychkino, avec un détachement de mitrailleurs. Des troupes de Péterhof, d’Oranienbaum, de Strélna nous accompagnent. Nous voulons savoir quelles sont vos instructions, ce que nous devons faire…
    Tchkéidzé déboutonna sa pelisse et se renversa sur le dossier de son fauteuil. Il paraissait exténué.
    — Que faire ? Que faire ? grommela-t-il d’une voix râpeuse. Reposez-vous. Et voilà.
    — J’ai entendu dire, reprit Nicolas, que le général Ivanoff marche sur Pétrograd et…
    — En effet, dit Tchkéidzé avec un sourire oblique, le 171 e  régiment vient d’arriver à la gare Nicolas pour écraser l’insurrection. Mais, à peine débarqué, il a mis la crosse en l’air et s’est dispersé. Quant aux cavaliers de Saint-Georges, tout me porte à croire que leur train s’arrêtera en route. Les communications ferroviaires sont coupées. Rassurez-vous donc, camarade, et passez à la Commission militaire, si vous désirez offrir vos services pour le maintien de l’ordre.
    — Mais…
    — Vous voyez, camarade, dit un autre député, vous nous avez dérangés pour rien. Et c’est ainsi que les questions les plus graves demeurent en suspens. Quand résoudrons-nous le problème des imprimeries ?
    — Quels sont les derniers mots du procès-verbal ?
    — Avant de continuer, il faut savoir si tous les membres sont présents.
    — Je crains que non.
    — Dois-je procéder à l’appel nominatif ?
    — Attendez, Ivan Sémionovitch, je propose une autre solution…
    Sa crainte tombée, Nicolas se retrouvait les mains vides, le cœur lourd, comme un bon ouvrier privé de ses outils. Personne ne s’occupait de lui. Une force centrifuge le rejetait hors du débat où il avait prétendu s’introduire. La marche nocturne, les centaines de mitrailleuses amenées à pied d’œuvre, la fusillade près des usines, sa lassitude, ses élans, rien de tout cela ne comptait devant l’urgence des problèmes qui se discutaient autour de la table. Comment avait-il pu s’imaginer être quelqu’un de nécessaire à la cause ? Il éprouvait de la honte et de la tristesse. De temps en temps, des hommes entraient, portant des piles de dossiers qu’ils déchargeaient par terre, avec des soupirs de débardeurs. Un monsieur, en pelisse et chapeau

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