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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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dit :
    — Regarde-moi, Marina.
    Marina poussa un cri et se jeta sur le côté. Son visage sans fard était allongé par la peur. Ses lèvres tremblaient. Volodia faisait sauter l’œil artificiel dans le creux de sa paume comme une bille. Subitement, il se mit à crier :
    — Je te plais encore ? Réponds ! Réponds donc, putain !
    Mais elle ne répondait rien. Le regard dilaté, les narines frémissantes, elle tirait le drap vers elle, essayait, Dieu sait pourquoi ? de voiler ses seins ronds et ahuris. Volodia l’aurait tuée avec volupté. Il glapit encore :
    — Putain ! Sale putain !
    Un sanglot énorme le fendit comme un coup de hache. Il s’ouvrit, telle une cosse, éclata, s’effondra en larmes sur l’oreiller. Des hoquets violents lui déboîtaient les épaules. Le désespoir, l’humiliation, la fatigue, annihilaient ses restes de raison.
    — Je suis perdu, perdu, bafouillait-il en mordant son poignet.
    La porte vola contre le mur, et Kisiakoff parut sur le seuil. Sa chemise de nuit était marquée de rouge à lèvres en plusieurs endroits.
    — Que se passe-t-il ?
    Derrière lui, surgit la silhouette d’une petite femme nue, aux cheveux noirs dénoués.
    Marina se leva d’un bond et courut se réfugier dans les bras de son amie.
    — Que se passe-t-il ? reprit Kisiakoff en saisissant Marina par le coude.
    Il la secouait comme une poupée de son et penchait sur elle un regard terrible. Soudain, il partit d’un éclat de rire qui fit sursauter les deux femmes.
    — Quoi ? dit-il. Tu n’avais pas remarqué ? C’est à cause de son œil de verre ?
    — Oui, balbutia Marina. Il ne m’avait rien dit. Et voilà qu’il allume. Et c’est un trou rouge…
    — La belle affaire, répliqua Kisiakoff rondement. Ce n’est pas avec un œil qu’on fait l’amour.
    Remise de sa première émotion, Marina souriait d’un air embarrassé. Elle s’était écartée de son amie et croisait les mains sur son nombril, méditativement.
    — C’est une blessure de guerre, sans doute ? demanda-t-elle.
    — Non. C’est une blessure d’amour.
    — Ah ! oui ? dit Marina. Moi, j’avais cru, n’est-ce pas ?… étant donné l’époque…
    — Ça va, ça va, gronda Kisiakoff. Mêle-toi de ce qui te regarde.
    Volodia, affalé en travers du lit, continuait à pleurer d’une façon abondante et banale.
    — Le pauvre, soupira Marina. Si jeune, si joli garçon ! Et maintenant…
    — Quoi ? Il ne te plaît plus ? rugit Kisiakoff. Ça te dégoûterait de coucher encore avec lui ?
    — Non. C’est pas ça…
    — Eh bien ?
    — Il faut que je m’habitue.
    — Tu me préférerais moi avec mes deux yeux, ou lui avec un seul ?
    — Vous me gênez.
    — Ne te gêne donc pas, petite dinde. On n’en fait plus, des comme lui. Même avec un œil de verre. Sais-tu combien il coûte, son œil de verre ? Hein ? Cinq cents roubles, ma jolie. Ouais ! Et toi, tu joues la difficile. Cinq cents roubles !
    Le visage de Marina exprima un respect automatique.
    — Taisez-vous ! gémit Volodia.
    — Allons, sois raisonnable, dit Kisiakoff en posant une main sur l’épaule de Marina. Va le consoler. Il en a besoin. Et que je n’entende plus parler de vous jusqu’à demain matin. J’ai à faire, moi aussi.
    Il cligna de l’œil à la brunette, qui pouffa de rire dans son poing. Puis, il appliqua une claque sur les fesses nues de Marina :
    — Va, va donc !
    — Mais oui, va, grosse bête, dit la copine.
    — Je voudrais bien t’y voir, dit Marina.
    Elle s’avança jusqu’au lit, ouvrit les draps, se coucha contre Volodia qui demeurait immobile comme un cadavre.
    — Et s’il ne veut plus ? demanda-t-elle.
    — Il voudra, dit Kisiakoff. Attends un peu, je vais arranger les couvertures.
    Il arrangea les couvertures, retapa un oreiller en bougonnant :
    — Ah ! tu m’en donnes du souci, Volodia. Où as-tu mis ton œil, imbécile ?
    — Là, sur la table de nuit, dit Marina.
    — C’est bon. Ne le casse pas. Vous n’avez besoin de rien ? Pas de champagne ? Pas de tartines ? Je peux éteindre ?
    Il s’arrêta un moment et contempla maternellement Volodia et Marina allongés côte à côte. Volodia, étendu sur le ventre, ne montrait pas son visage. Marina, soulevée sur un coude, lui chuchotait quelque

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