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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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plus loin. Ça, je le sais. Tu deviendras un grand homme.
    — Où que j’aille, vous viendrez avec moi. Et je vous protégerai toujours. C’est promis.
    — Non, pas ça ! Pas cette promesse, dit la voix du grand homme qu’il fut incapable de reconnaître.
    Les fragments d’un rêve bien-aimé aux couleurs de vaisselle d’Andalousie se dévoilèrent brièvement à ses yeux : il vit un grand chêne au pied duquel une fontaine blanche murmurait, entourée de rosiers. Une femme invisible fredonnait. « J’ai toujours aimé cet air. Comment ai-je pu l’oublier ? » se dit-il vaguement.
    — Fais-moi un vrai fils et c’est à lui que j’enseignerai le métier, dit soudain une voix rude.
    Dans sa tête, la vaisselle d’Andalousie se fracassa avec un bruit assourdissant. Le brouillard se dissipa. Alors il eut à nouveau peur, et il eut à nouveau mal. L’image d’une olive lui revint à l’esprit. Noir et luisant d’huile, le fruit ovale s’en allait rouler dans une mare de sang.
    — Non, dit encore sa propre voix.
    Il revit le chasse-mulet* qui conversait avec son père alors que lui se terrait dans un coin de la boutique, exténué, endolori par le transport des sacs de farine.
    — J’ai mal partout. Mal partout, dit-il faiblement.
    — Espèce de paresseux. Tant vaut le mitron, tant vaut la miche, dit la voix rude.
    Louis ne répondit pas. Il s’intima l’ordre de se taire et de ne plus bouger jusqu’à ce que Firmin oublie qu’il était là. C’était ainsi qu’il avait appris à éteindre la douleur et ce qui l’avait causée. Cela avait toujours été. Il se mit à attendre que le brouillard bienfaisant vînt à nouveau le faire cesser d’être lui.
    Mais le brouillard n’aidait pas. Louis trouva une pêche et mordit dedans avec avidité. Le jus légèrement acidulé pénétra dans les gerçures de ses lèvres. Il y eut un bruit et il se mit à chercher frénétiquement quelque endroit où cacher son fruit à demi mangé.
    Petit Pain avait léché ses larmes. Le chaton s’était pelotonné contre lui. Il ne bougeait plus. Il était étendu sur le flanc, son cou rompu.
    — Merde, c’est cassé, dit la voix contrariée et anxieuse de Firmin. Louis sursauta à la vue du gourdin que l’homme avait laissé tomber près de son visage. De gros doigts lui tâtèrent la nuque.
    La voix d’une conscience qui ne pouvait être la sienne se superposa à toutes ces images : « Rien de tout cela n’eût dû arriver. J’ai tout faux. »
    Les mains d’Adélie reposaient sereinement sur le cariset* presque neuf de sa jolie robe. Elles n’essayaient plus de replacer sa petite mèche rebelle. Elles ne bougeaient plus. Il entendit encore le craquement sinistre de bras que Firmin avait dû casser pour l’arracher, lui, à l’ultime étreinte de sa mère. Il sentit à nouveau Adélie qui pressait son front contre le sien et le souffle ténu qui lui avait caressé le visage. Il revit le brancard que l’on inclinait au bord d’une fosse et la forme blanche qui en glissait lentement, puis de plus en plus vite. Sa mère était devenue une chose. Louis se sentit tomber au fond du trou avec elle.
    — Que vais-je bien pouvoir faire de lui, maintenant ? avait demandé Firmin.
    — Changez-moi en poussière, dit Louis, tout bas.
    Firmin dit :
    — Je ne t’ai jamais voulu. Jamais.
    Et soudain Firmin recula, horrifié. Louis l’assomma avec le bras d’un mort qu’il avait commencé à dévorer.
    — Je viens pour Firmin Ruest, dit-il.
    Il y avait un quignon de pain planté au bout de son damas. Ce pain était signé de trois traits sinueux et parallèles. Cette image se désagrégea, et Louis vit un autre quignon de pain, planté sur un piquet, et Firmin, entravé, affamé, était incapable d’y mordre.
    — Je croyais que vous m’aviez oublié, lui dit le vieil homme.
    Il répondit :
    — Je ne t’ai pas oublié, Firmin. Je n’oublie jamais.
    « Non, je n’ai rien oublié et rien de cela n’eût dû exister », répéta sa conscience.
    Et il jeta le pain rassis par terre de la même façon qu’il abandonna sa cagoule pour se montrer à Firmin.
    — Faut que je te dise… Adélie… elle m’aimait pas. Son amour, elle le gardait pour un autre. J’ai tout perdu. Tout. C’est ta faute. Tu es maudit.
    « Quel autre ? » demanda la conscience de Louis, qui n’arrivait pas à émerger de ce chaos de souvenirs disparates.
    — Les vipères viennent au monde en

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