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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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dit :
    — Il m’a détruit. J’étais un boulanger. Après, j’ai voulu me faire moine. C’est « lui » qui m’a empêché d’être l’un et l’autre. Il n’y avait de place pour moi nulle part tant qu’il vivait. Je voulais me venger, je ne vivais plus que pour ça. La peste, la vie d’avant, ça ne comptait plus.
    Ses prunelles chatoyèrent sans se poser nulle part. Il reprit :
    — Mais une fois que j’ai eu sa peau, j’ai découvert que c’était mort en moi. Il n’y a plus rien au-dedans.
    Lionel cligna des yeux. Louis allait vite, trop vite. C’était anormal pour quelqu’un qui n’était que partiellement présent.
    — Ne dis pas ça.
    — C’est lui qui l’a dit. Je suis une erreur.
    — Dieu tout-puissant. Mais…
    Lionel secoua la tête. « Avons-nous donc bel et bien engendré un monstre ? J’enrage à l’idée qu’il n’en était pas un à sa naissance. Et s’il n’en est pas un, à quels mots, à quels gestes dois-je donc avoir recours pour neutraliser ce dragon qui réside en lui, cette bête née de l’affreuse magie de Firmin ? »
    Sans quitter son fils des yeux, il dit :
    — Écoute, Louis. Firmin te détestait parce qu’il savait qu’Adélie et moi, nous nous aimions et que nous t’aimions, toi, plus que tout au monde. Même si tu ne pouvais véritablement être mien. C’était lui, l’intrus, avec son mariage arrangé à la convenance de la famille. Toi, tu es le fruit d’un grand amour défendu qui ne s’est jamais démenti durant toutes ces longues années. Et cela, ton oncle n’a jamais pu le supporter. Comprends-tu ce que j’essaie de te dire ?
    — Oui.
    Lionel soupira et s’éloigna. Louis continuait à se gratter le bras. Il semblait ne pas avoir entendu un mot. Lionel reprit :
    — Non, tu ne comprends pas. Comment le pourrais-tu ?
    Louis se leva. La couverture tomba inerte à ses pieds. Il dit, le regard toujours vague :
    — Oui, je comprends. Ce n’est pas moi que vous aimez, c’est le fils de ma mère.
    Il alla à la porte, mit son chaperon et sortit dans la cour. Le bénédictin, soudain furieux, l’y suivit.
    — Comment oses-tu !
    Lionel l’obligea à se retourner pour lui faire face. Il dut lever le bras pour le saisir par le col de son floternel*. Il lui administra deux gifles retentissantes et fit tomber dans la boue le chaperon noir du bourreau. Louis, surpris, regarda fixement le moine, mais il s’empressa d’adopter une posture presque martiale. Lionel attendit en vain, sans le lâcher. Il dut finalement se résoudre à parler, à inspecter toutes les portes par lesquelles il pouvait pénétrer dans la geôle sordide qu’était l’âme de son fils.
    — Quelle autre preuve dois-je donc te donner ! N’en as-tu pas encore eu assez ?
    Le moine ne put s’empêcher de noter un changement radical chez Louis. Ce genre de discussion avait invariablement coutume de mener ce dernier à des tactiques d’intimidation. Louis s’était toujours montré d’une grande susceptibilité avec lui ; d’ordinaire, il soupesait chacune des paroles de ses interlocuteurs afin d’y déceler les éventuelles intentions cachées. Or, Louis semblait subitement disposé à ne plus réagir aux cogitations du religieux avec son agressivité coutumière ou par quelque raillerie acerbe. Lionel n’arrivait pas à se convaincre que cela ne pouvait être dû qu’à la seule fatigue. « Il n’osera plus ! » se dit-il avec un curieux mélange d’émotions. Louis réagissait à la nouvelle autorité paternelle avec la même passivité instinctive qu’il avait manifestée devant Firmin.
    Il lui était pénible de ne pas exprimer toute la compassion qu’il ressentait pour son fils, mais il ne voulait pas tenter le sort en menant les choses trop loin, surtout pour une première fois. Cette nouvelle réceptivité encore fragile était trop précieuse pour qu’il prît le risque de la détruire avec des propos inconséquents qui n’eussent, en fin de compte, soulagé Louis que pour un temps. L’eau n’apaise pas la brûlure de la moutarde. Mais le pire de ce qu’exigeait cette retenue, c’était cette soif qu’avait Lionel de connaître les dernières années occultées de la vie d’Adélie. D’avoir à s’abstenir de demander à Louis de lui en faire le récit lui était plus pénible que tout ; mais il devait prouver à son fils que, contrairement à son tortionnaire Firmin, il ne détenait rien de lui qui ait été

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