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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Et ce n’est pas mon fils.
    — Ce n’est pas d’Adam que je parle, mais de toi, Louis.
    — De moi ? Expliquez-vous.
    — Tu es mon fils.
    Lionel vacilla. Une main paternelle qui n’avait jamais eu le droit d’exister se tendit vers le bras de Louis, mais retomba à mi-course.
    — Quoi ? fit Louis d’une voix blanche.
    « Mon fils. Une douleur indéfinissable. Une douleur de l’âme. Une douleur sèche. Celle de ne pas savoir quoi dire », pensa Lionel. Et il dit :
    — Mon nom est Lionel Ruest. Je suis le frère de Firmin.
    — Le frère ?
    D’une voix atone, comme s’il avait répété sa vie durant une même leçon apprise par cœur, Lionel dit :
    — Pour cacher sa faute et la mienne, et pour sauver l’honneur de la famille, ta mère Adélie a accepté la demande en mariage de celui à qui elle avait d’abord été promise, celui qui, aux yeux de mon père, était seul apte à prendre la relève de la boulangerie un jour. C’est là que j’ai dû faire mon entrée forcée au cloître.
    — Il n’est pas… mon père ?
    Lionel fit face à Louis et l’approcha de très près. Des sanglots retenus le faisaient parler par à-coups tremblants.
    — Je te l’aurais dit avant, mais… j’avais peur. Peur de toi et de ma propre faute. Firmin nous avait fait la promesse de veiller sur toi comme sur son propre fils. Pendant quarante longues années que je t’ai vu devenir un terrifiant étranger, j’ai ployé en secret sous le faix de ton enfance trahie. Quand tu as perdu ta mère, j’ai perdu ma femme. Chaque coup que tu as reçu, j’ai appelé, crié en mon âme pour le recevoir à ta place. J’ai souffert avec toi, loin de toi. Et tu m’as manqué… toute ma vie.
    Louis gémit. La lanterne tomba sur le chaume détrempé à leurs pieds, où elle lutta en fumant pour ne pas s’éteindre. Le visage du géant n’était plus visible. Seuls de petits halètements douloureux trahissaient sa présence. C’étaient ceux de la rue Gît-le-Cœur. L’aumônier ne sursauta pas lorsqu’un poing se referma sur son col. Il ne se défendit pas. Toute peur venait de le quitter, au moment même de son aveu. Le bourreau se mit à avancer en titubant. Lionel le suivit à reculons sans résistance.
    — Quoi que tu fasses, maintenant, je l’accepterai.
    Louis dégaina sa dague et la posa contre la joue creuse du vieil homme.
    — Le mal est fait. C’est trop tard. Je n’ai jamais eu besoin d’un père.
    Lionel ne bougea pas. Il dit :
    — Tue-moi si tu veux. Tant pis. Plutôt mourir que vivre sans ton pardon.
    Louis donna une secousse à Lionel. Il se laissa faire. Seuls ses yeux sombres scintillaient, posés sur lui comme deux brisures d’étoiles à la fois proches et lointaines. Louis cilla de nouveau. La lame trembla dans sa main.
    Complice des étoiles, une serpe de lune choisit cet instant pour entailler la lourde draperie qui couvrait le ciel, suffisamment longtemps pour éclairer un visage hâve d’une lueur bleutée qui en aggravait les rides. Ce visage, levé vers lui, Louis le connaissait. C’était le sien.
    La dague lui tomba des mains et rejoignit l’esconse* à leurs pieds. Louis lâcha Lionel et recula lentement. Et, au moment où il se retournait pour s’enfuir en direction du ruisselet, il fut enveloppé par l’obscurité qui retombait et disparut.

Troisième partie
1372-1376

Chapitre VI
Le grand œuvre *
    Il courait, courait à perdre haleine. Des branches lui fouettaient parfois le visage : il ne les sentait pas. La nuit n’en finissait plus. Était-ce seulement la même nuit ? Et lui, était-il le même homme ? Il n’eût pu le dire et cela n’avait plus guère d’importance, désormais. Un brouillard gris s’était tissé autour de lui comme un cocon qui annihilait toute sensation et toute pensée. Il était là de toute éternité. Il ne souffrait pas. Il ne ressentait rien. Ce n’était ni merveilleux ni apaisant. Ce n’était rien. Le brouillard l’enveloppait, l’éloignait. Très bientôt, il allait disparaître à son tour, en pleine course. Il allait n’être rien.
    Un bougeoir qui diffusait une lumière miellée dérangea le brouillard, et la voix d’un petit garçon surgit du silence cotonneux pour expliquer :
    — Moi, je pense qu’on est venus au monde ensemble. Le même jour. Je suis vous, et vous êtes moi.
    Et une autre voix, depuis longtemps oubliée, répondit :
    — Tu es bien davantage que moi, Louis. Tu iras beaucoup

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