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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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convaincu que son fils devait imaginer, avec une parfaite honnêteté, des parcelles d’amour soigneusement réparties en doses minimes, comme des remèdes. Louis dit encore :
    — Écoutez, l’enfant ne manque de rien. Ça donnerait quoi que je l’aime en plus ?
    — Ce que cela donnerait ? Mais, Louis, l’amour ne se mesure pas. On n’en manque pas pour en avoir trop donné. Ce n’est pas non plus une question de mérite ni de profit. C’est là un principe qui s’est profondément implanté dans notre mode de pensée patriarcal et il est mauvais. L’amour doit être comme celui de la mère, il doit être total et inconditionnel.
    Louis baissa la tête et regarda pensivement ses mains. La mèche rebelle qui lui barrait le front se dessina dans la grille du confessionnal.
    Le religieux dit :
    — Tous, nous passons notre vie en quête de ce genre d’amour. Toutes les œuvres, toutes les passions humaines, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, qu’elles soient visibles ou non, tendent vers ce seul but. Civilisation, musique ou cathédrale, chacune de nos créations est un moyen que nous avons trouvé pour donner un sens à notre présence en ce monde et pour transcender ce qui ne serait autrement qu’une existence banale, limitée au maintien de la vie.
    — Autrement dit, je me suis trompé sur toute la ligne. Moi, j’ai voulu survivre pour me venger. Mes passions étaient mauvaises…
    — Je n’irais pas jusqu’à dire que tu t’es trompé, non. Tu as cherché à combler le vide de la seule façon qui t’était accessible.
    — Mais quand je suis arrivé à mes fins, je ne me suis pas senti mieux.
    — Non, sûrement pas. Mais tu y arriveras si tu deviens capable de te convertir à une nouvelle façon de donner un sens à ta vie. Toutes les conditions idéales sont réunies pour que tu y parviennes. Si tu peux t’éveiller à cela, mon fils, alors tu te mettras à éprouver ce que peut être réellement la vie dans ce qu’elle a de plus merveilleux. C’est assez difficile à expliquer. Mais, tant que tu n’auras pas vécu cela une fois, j’aurai beau t’en parler, tu ne comprendras pas.
    Louis releva la tête.
    — Je pense que je comprends. Un peu.
    — Si tu parviens à domestiquer l’amour, tu en ressentiras la force régénératrice tout autant, sinon plus, que tu as pu être galvanisé par ta haine.
    — Ça me paraît assez logique.
    — Je te l’ai dit, cette forme de passion là aussi, la cruauté, est une réponse au problème de l’existence. Même l’homme le plus cruel est d’abord humain. Il est aussi humain que le saint. C’est seulement un homme qui s’est trompé.
    — Alors là, je vous suis.
    — Mais, attention : comprendre n’est pas excuser. Par là je ne veux pas dire que la cruauté n’est pas un vice ; j’entends seulement que ce vice est humain. C’est un vice qui détruit la vie, le corps et l’esprit de celui qui en est atteint tout autant que ceux de ses victimes.
    — Comme dans mon cauchemar, dit Louis sans y penser. Lionel, qui avait déjà repris son souffle afin de poursuivre son discours, s’interrompit brusquement pour demander :
    — Quel cauchemar ? Tu faisais donc des rêves ?
    — Juste celui-là. Je ne le fais plus.
    — Alors je m’abstiendrai de te demander de me le raconter. Dis-moi seulement s’il exprimait cette perversion, ce paradoxe de la vie se retournant contre elle-même dans son effort pour se donner un sens.
    Complètement immobile derrière la grille, Louis marqua un temps de réflexion.
    — Oui, c’était bien ça. Je pense à une chose. J’ai fait un autre rêve, à mon retour. Il a fait cesser le premier que je faisais tout le temps. C’était… comme si je n’avais jamais accepté de le continuer jusqu’au bout et qu’à cause de ça, je m’étais trompé. En réalité ce n’était pas un mauvais rêve du tout. C’était même très beau.
    Soudain, Lionel se mit debout dans son cagibi et s’y cogna la tête. Il se rassit, la main sur le crâne, des cheveux se hérissant entre ses doigts. Il fit glisser le grillage avec impatience et empoigna Louis par la nuque.
    — Eh ! Mais qu’est-ce que…
    Louis se retrouva incliné vers la grille ouverte, front à front avec son père, qui dit, d’une voix émue :
    — Dieu tout-puissant, quel bonheur. Louis, tu n’étais cruel que parce que l’amour de la vie, qui est une chose naturelle dont nous sommes tous nantis, était chez toi

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