Le salut du corbeau
temps d’un coup de bassin qui projeta l’agresseur au sol. Le géant se libéra et se remit debout. D’un coup de pied bien placé, il envoya l’homme d’armes rouler dans une clôture. Puis, de nouveau avec cette posture sereine et silencieuse qui lui était typique, il fit face.
— On efface tout et on recommence, dit l’un des spectateurs.
— Bon Dieu de merde ! jura Robert.
Personne ne remarqua le signe imperceptible que le messager de Sam fit à Robert. Les rares pas du bourreau furent détournés vers le tonneau maintenant inoccupé. Louis ne se méfia pas ; il s’était mis à tourmenter Robert à coups calculés et incessants. Pourtant, dès que le guerrier eut subtilement dirigé Louis à la portée de l’émissaire, ce dernier leva les jambes entre celles du bourreau. Louis fut contraint de faire un écart et manqua trébucher.
— Eh, tu n’as pas le droit d’intervenir ! Vaurien ! protesta une villageoise.
— Tricheur ! Face de potron* ! cria une autre.
— La ferme ! répondit le messager.
Pendant ce temps, Louis n’avait pu répliquer autrement qu’en saisissant une nouvelle fois le poignet de Robert.
— Ça y est, je l’ai, je l’ai presque, dit le barbu, dont le perce-mailles* tremblant effleurait l’adversaire sous le menton.
Mais le géant ne saignait pas. Son visage dur n’exprimait aucune douleur, plutôt de la contrariété à cause de cette manœuvre hypocrite qui venait d’être tentée contre lui. D’un geste brusque, il tordit le bras de Robert.
— AÏE ! se lamenta l’homme tout de travers.
— À combat déloyal, riposte déloyale, dit Louis.
— Lâche-moi ! Lâche-moi, espèce de salaud !
— Jette ton arme d’abord. Allez.
L’homme en noir donna une secousse douloureuse qui fit loucher Robert.
— À l’aide ! appela-t-il.
Mais ses compagnons hésitèrent.
— Vite ! Il est en train de me casser le bras !
— Tu n’as qu’à te rendre, dit une femme.
— Toi, va te faire enconner* ! Au secours !
De mauvaise grâce, l’émissaire dégaina son passot*.
— Pas de ça ! Laisse-les régler leur affaire entre eux, dit l’un des hommes.
— Frappe ! Mais frappe, bon Dieu ! cria l’orgueilleux Robert.
— Lâche-le, ordonna l’émissaire en pointant sa lame entre les omoplates de Louis.
Ce dernier laissa tomber sa dague et leva les mains.
— Tue-le ! cria Robert qui, ayant battu en retraite, se pétrissait l’épaule en reprenant son souffle.
L’épée de l’envoyé s’éleva.
Nul ne comprit exactement ce qui se passa alors, ni comment le géant parvint à dégainer son damas et à reculer d’un pas. Les deux lames se rencontrèrent dans un jaillissement d’étincelles. La seconde d’après, Louis brandit son arme à deux mains et trancha net l’avant-bras du messager. Un hurlement inhumain domina les huées que lancèrent les compères de la victime. Le sang de l’émissaire gicla sur l’abdomen du bourreau. L’homme tomba à genoux et empoigna son moignon avec désespoir. Louis donna un coup de pied dans le passot* du vaincu. La main sectionnée de sa victime y était toujours agrippée. Cela ne parut pas le dégoûter. Certains reculèrent, pris de nausée. L’envoyé, le visage plâtreux, était en train de perdre conscience. L’homme en noir jeta un coup d’œil autour de lui.
— Qu’attendez-vous pour aller lui chercher de l’huile bouillante ou de la poix, vous autres ? Il faut faire cesser le saignement. Faites vite.
À ces mots, plusieurs villageois se détachèrent du groupe. Louis avisa alors Robert, qui blêmit à son tour.
— Hé, l’ami… j’ai compris. On est quittes, d’accord ? dit-il d’une voix chevrotante.
— Ah, tu crois cela, toi ?
L’homme nota le tutoiement subit. Louis ajouta :
— J’avais pourtant cru t’entendre parler d’un duel à mort.
— Ah, mais… avec l’Escot*, je voulais dire, avec l’Escot*.
— Justement. C’était avec l’Escot* que je devais me battre. Mais vous étiez déjà convenus de m’affaiblir avant de me remettre à lui, si par hasard je venais à sortir indemne de cet affrontement. Cela lui ressemble assez, ce genre de petite combine perfide.
Il se pencha pour récupérer sa dague que personne n’avait osé toucher et remit son épée au baudrier après un nettoyage sommaire. Les propos goguenards s’étaient taris. L’émissaire gisait en chien de fusil, inconscient, dans une mare de sang.
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