Le salut du corbeau
attendait.
L’un des hommes d’armes prit place avec nonchalance sur un tonneau renversé. Graduellement, les portes de l’église se mirent à déverser des villageois désœuvrés qui se greffèrent discrètement au groupe. Le dernier à sortir referma les portes, peut-être dans une tentative inconsciente de défendre l’accès du sanctuaire aux assaillants.
— Vous allez vous admirer longtemps comme ça, tous les deux ? demanda le chef en s’appuyant contre le mur en pierre du bâtiment.
— J’essaie de voir par où le prendre, dit Robert qui détaillait avec une attention exagérée la poitrine et les bras de l’homme immobile.
Soudain, sans avertissement, il s’élança vers le bourreau en pointant le perce-mailles* vers sa gorge non protégée. Louis ne bougea toujours pas. Au dernier instant, Robert plongea l’instrument en direction des jambes de l’homme. L’hypocrisie fut inefficace : Louis s’y était attendu et avait reculé pour abattre le plat de sa main derrière la nuque du barbu qui fut étendu raide.
— Vos gueules ! cria Robert aux spectateurs hilares.
Son humiliation était amplifiée par la présence imprévue des habitants d’Aspremont. Il se releva en hâte et se pétrit le poing.
— Ça, tu vas me le payer cher, vieux bâtard !
Mais Louis était tout sauf vieux : souple comme un chat, il se déroba plusieurs fois de suite aux coups de poing de plus en plus désordonnés et infructueux du barbu. À la frustration grandissante de son adversaire, il opposait un calme méthodique. Cette tactique avait toujours été sa meilleure arme devant ce genre de situation. Il avait tout de suite détecté en Robert un mauvais emploi de sa force physique considérable, gaspillée par sa haine incontrôlée. Il tombait dans le panneau avec une naïveté de grosse brute. Pendant de longues minutes, Louis continua à se soustraire patiemment, sans aucune moquerie, à tout contact. Robert se fatiguait et les quolibets dont Louis l’épargnait lui étaient lancés par les spectateurs. Cela ne contribuait pas à l’encourager.
— Hé ! Robert, il est pourtant assez gros, ce Louis Ruin*, et toi, tu le manques !
— Ne le ménagez pas, maître Baillehache ! Allez-y, frappez-le, cria une femme qui avait mis ses mains en porte-voix devant sa bouche.
L’interpellé avança si doucement que Robert, distrait par les invectives, faillit se faire prendre. Il s’écorcha les jointures contre la dague que Louis tenait en diagonale devant lui. Alors qu’il baissait les yeux une seconde sur ses phalanges ensanglantées, le poing du colosse s’abattit contre sa mâchoire. Robert en fut déstabilisé, mais il fut capable de bondir en arrière sans trébucher.
— Ah, l’enfant de putain ! grogna-t-il.
« Cette canaille est en train de me faire passer pour un amateur sans avoir rien fouti* », pensait-il avec humiliation. Un accès de rage déraisonnable s’empara de lui en même temps qu’il plongeait tête première dans le ventre du bourreau, n’hésitant pas à risquer le tout pour le tout afin de lui faire mordre la poussière. Privé de souffle, Louis chancela. Un croc-en-jambe bien placé acheva la besogne. Des exclamations enthousiastes semblèrent monter des vouges* et des guisarmes* qui s’agitaient en cliquetant au-dessus des têtes.
— Vas-y, Robert !
— Le couteau ! Le couteau !
— Non, arrête, Robert. Laisse-le à l’Escot*.
— Au diable l’Escot*, dit Robert.
Il grogna de satisfaction à sa victoire anticipée et se laissa tomber sur son adversaire terrassé. Les poumons de Louis se vidèrent à nouveau sous le choc. Robert s’apprêta à lui entailler la gorge. Mais une main de fer lui saisit le poignet et se mit à serrer. La pointe du perce-mailles* trembla entre eux pendant plusieurs secondes ponctuées de halètements. L’autre main de Robert se plaqua contre le visage haï et ne se retira que pour frapper son adversaire à la tempe afin de l’assommer. Mais Louis ne lâchait pas.
— Tu vas saigner à mort, mon gars, ça, je te le garantis. J’emporterai ta dépouille encombrante à l’Escot*. C’est ça qu’il veut, de toute façon.
Robert l’ignorait, mais c’était la chose à ne pas dire. Sam attendait au domaine. Tout était sur le point de s’arranger et voilà que cet imbécile s’amenait pour tout gâcher. Un accès de combativité nouvelle s’éveilla en Louis, et la puissance de sa musculature décupla le
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