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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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rôtie, lui dit-il avec l’air d’ourdir un complot.
    — Moi, j’ai faim. C’est pour bientôt, la fête ? Je m’ennuie.
    — Tu n’as qu’à te rendre utile, petite sotte, dit-il en remettant à sa sœur une grosse besace remplie de menus outils. Tiens, prends ça et rapporte-le à l’Escot*. Il en a besoin pour finir de monter l’estrade sur la plage.
    Elle se faufila parmi les badauds qui se faisaient de plus en plus nombreux sur l’aire d’embarquement, située sur l’un des bras d’eau entourant l’île Saint-Jean. Certains se regroupaient autour de quatre troubadours et d’une danseuse aux mouvements gracieux, tandis que d’autres avaient été attirés par l’odeur de pain et de soupe qui flottait autour d’un auvent de toile grise. La fillette ne vit l’Escot* nulle part. Pourtant, il eût dû se trouver à l’une des gargotes alignées tout le long du canal.
    La place Saint-Sauveur qui s’étendait devant le palais de justice (23) , où elle aboutit après avoir débouché d’une ruelle étroite, grouillait de monde. Cette entrée de la ville était si bondée que la fillette commença à désespérer. La besace pesait de plus en plus sur son épaule et elle avait hâte de retourner à l’échoppe de ses parents pour y dénicher les fraises.
    À cet instant, elle le vit. Mais elle ne put l’atteindre. Alors qu’un rondeau égrillard était repris par plusieurs voix enrouées, l’un des troubadours entrevus plus tôt se lança dans la foule trop dense et brandit sa vielle au-dessus de la tête d’un villageois.
    — Rends-moi le flacon que tu viens de me chiper, maraud !
    — Quel flacon ? J’ai point de flacon, répondit l’homme en titubant un peu, déjà ivre comme bien d’autres alentour.
    Il ne se rendait pas compte que le goulot du flacon volé dépassait impudemment de son sac. La vielle couina en se fracassant sur la tête de l’ivrogne. Il n’en fallut pas plus pour déclencher une pagaille généralisée : bientôt, tous les hommes présents se tapaient dessus sans même savoir pourquoi. Le vacarme constitué de cris, de bois brisé et de tintements métalliques devint si assourdissant qu’il alerta des chevaliers en armure dont le bouclier était peint aux armes du gouverneur. Mais leur présence ne changea pas grand-chose. Ils furent engloutis par la mêlée. Quelques-uns d’entre eux arrivaient tout juste à tenir en selle, car ils avaient eux-mêmes dérogé à la règle en s’enivrant pendant leur tour de garde.
    Des paris commençaient à s’échanger entre ceux qui assistaient à la scène du haut de leur balcon.
    — Tiens, en voilà un qui vient de perdre son plumail*, dit un vieillard joufflu en pointant l’un des chevaliers. Ah, il y a longtemps que je n’en avais pas vu une bonne comme ça.
    — Tu dis vrai, cousin, dit un homme plus frêle. Pas de festivités dignes de ce nom sans une bonne bagarre de pochards.
    — Je me souviens… c’était il y a quinze ans, le petit Morneau avait mis le feu aux braies du meunier. Le pauvre a été obligé de se noyer le fessier dans l’abreuvoir qui est derrière l’église Saint-Exécuteur (24)  !
    — C’est plus maintenant qu’on pourrait faire une aussi bonne blague.
    — Regarde-moi ce ciel d’enluminure. Une journée idéale pour la fête.
    — Tiens, qu’est-ce que je disais ! Le voilà. Manquait plus que lui. Comme quoi la clémence des cieux fomente souvent l’orage.
    Les deux hommes durent reculer lorsqu’un bout de planche auquel s’accrochait encore un morceau de tissu taché fut projeté dans leur direction.
    — Ça chauffe sérieusement là-dessous. On ferait mieux de se mettre à l’abri. Dommage, j’aurais bien aimé voir ce que le bourrel* va faire, dit à regret le vieillard joufflu.
    — Il ne fait rien du tout. On dirait qu’il veut seulement passer, répondit l’autre qui demeurait au balcon malgré l’os d’une cuisse de poulet qui lui passa à deux pouces de la tête.
    Les rares émeutiers à remarquer le cavalier solitaire entièrement vêtu de noir, en cessant de se battre, furent secoués par l’effervescence de la bousculade sans avoir pu esquisser la moindre marque de respect ou de dégoût. Les autres se contentèrent de s’éloigner vaguement de l’imposant destrier noir. Mais ce n’était pas suffisant. Bientôt, le bourreau fut encerclé par une foule qui, pour une fois, ne réagit pas à sa présence imposante et austère.
    Son visage aux

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