Le salut du corbeau

mourante qui se débattait de moins en moins.
    Moins de quinze minutes après le début de ses tortures, Desdémone, encore vivante, fut entièrement recouverte de terre. Louis fit un tertre à l’aide de grosses pierres qu’il enfonça avec violence dans le monticule meuble (42) .
    Louis ne comprenait pas comment il avait pu, pour la seconde fois de sa vie, faire preuve d’une perte totale de maîtrise de lui-même. Il s’accusa d’avoir mal exercé son office, car il ne pouvait s’empêcher de se sentir comme en état d’extase. Il mit cela sur le compte de l’exécution de Desdémone et refusa d’aller plus loin dans ses investigations. Ainsi, il ignora que tout ce qui venait de survenir avait en fait été simplement engendré par une agressivité défensive. Il ne réalisait pas vraiment que toutes ses inhibitions s’effritaient lorsqu’une femme enceinte ou un enfant était concerné.
    Tandis que la foule se désagrégeait, il récupéra ses outils sans remarquer que Bertine laissait Sam derrière elle. Le jeune homme s’approcha un peu et attendit que Louis se tourne vers lui, pour demander :
    — Comment va Jehanne ?
    — Elle va bien.
    — Et le petit ?
    — Aussi.
    Sam exhala l’air de ses poumons et fit un signe de tête en se mordant les lèvres. Louis hésita, avant de marmonner :
    — Merci.
    Quelque chose pesait lourd sur l’âme de l’Écossais. Était-il, oui ou non, le père de l’enfant à naître ? Il n’osait aborder la question avec Louis, qui, de son côté, savait ce qu’il en était. Il ne l’aida pas. Il s’affaira à ranger sa poulie.
    — Savez-vous si… est-ce que je…
    Sam tripotait nerveusement les bandages blancs qui lui protégeaient encore les poignets. Louis le fixait en roulant lentement sa corde. Il demanda :
    — Est-ce que quoi ?
    — Mais, bon Dieu, vous savez très bien ce que j’essaie de dire…
    — Non. Je ne le sais pas.
    — Bon, alors, merde, laissez tomber.
    — Oui, ça vaut mieux. À quoi ça te servirait de le savoir ?
    — Ouais. Que comptez-vous faire ? Je veux dire… une fois qu’il sera là.
    Louis s’avança vers lui. Il lui mit une main sur l’épaule et dit doucement :
    — Ça non plus, tu n’as pas à le savoir, Aitken.
    Les yeux verts s’agrandirent, horrifiés.
    — Vous voulez dire que… que vous allez la…
    — Je ne veux rien dire du tout. Va-t’en.
    Louis tapa gentiment l’épaule et ramassa ses affaires avant de tourner le dos à Sam pour s’en retourner chez lui en traversant le petit pré.
    Et Desdémone reposa, déjà oubliée, presque à l’ombre de la maison de son bourreau qu’elle avait si mal aimé.

Chapitre IV
Retentum
    (Coup de grâce)
    Hiscoutine , nuit de la Toussaint 1371
    Louis, le capuchon de son aumusse* relevé, fauchait du blé en fixant d’un regard troublé, intense, malade, le clocher d’où lui provenait un tintement cadencé. Les tiges ondulantes tombaient sans bruit à ses pieds et il ne se rendait pas compte que les grains trop mûrs allaient se perdre dans l’enchevêtrement de chaume encore tiède.
    Jehanne se réveilla en sursaut et s’assit dans le lit. Quelle était la signification de cet autre rêve ? Une cloche sonnait au loin. C’était celle de la petite église d’Aspremont. Louis n’était pas là. Elle poussa un soupir sans arriver à savoir si c’en était un de soulagement ou de déception. Depuis leur retour de Caen, en charrette, il n’avait plus couché avec elle. Tant que la chose lui avait été possible, il avait dormi en plein air. Mais, depuis deux semaines, il avait regagné son ancien logis sous les combles. Nul n’avait trouvé à y redire. Même le père Lionel considérait que c’était là une sage décision, étant donné la santé précaire de la jeune femme, due, au dire du maître, au choc émotif produit par la tentative de suicide de son ami. L’avortement raté, quant à lui, était demeuré secret.
    La véritable raison pour laquelle Desdémone avait été exécutée ne fut pas ébruitée. Parmi les quelques personnes au courant de la visite de Jehanne chez elle, aucune ne pouvait trahir son secret. Desdémone n’était plus, Sam était parti, et le père Lionel, qui avait peut-être appris la vérité en confession, était tenu d’en garder le secret. Pour les autres, la ribaude avait été condamnée pour charlatanisme.
    Une curieuse attente s’était installée au manoir. La venue de la saison froide ne voyait