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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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ses phrases laconiques et de ses réponses évasives. » « Mais il ne pense pas à ces choses-là, tu le sais bien. » « Alors, qu’il me dise au moins ce qu’il a l’intention de faire ! C’est un monstre. Nul ne peut imaginer ce que cette attente exige de moi ! » À ce stade de ses réflexions, Jehanne se prenait habituellement la tête à deux mains comme si, par ce geste, elle allait arriver à faire taire ses pensées. « Ça y est, je sais ce que je vais faire. Je vais le lui demander. Demain. Et nous verrons. S’il ne me répond pas, je prendrai quelque chose à son insu. Quelque chose pour m’endormir tout doucement et à jamais…»
    Et, un instant tranquillisée par cette illusion, elle souriait.
    Car Louis ne laissait aucun remède à sa disposition. Elle devait les lui réclamer et il ne lui administrait de sa main que la dose prescrite, celle qui était strictement nécessaire à son soulagement.
    Le souvenir de leur première nuit s’était peu à peu désagrégé avec chaque nouvelle nuit que le temps y avait superposée. Tout allait pour le mieux, maintenant, songeait-elle avec amertume. Louis avait joué, il avait triomphé, et le stratagème avait pris. Il la tenait d’aplomb. À sa merci. Il détenait le pouvoir de la réduire en feuille d’arbre roussie, desséchée, impuissante sous la poussée du vent âpre de Normandie et ce, quand il le voudrait. Et la suzeraine Jehanne, avec sur la nuque le pied de son empereur, ne s’était rendu compte de rien. Même qu’elle en avait redemandé. Elle avait été foudroyée d’avance dans son propre élan d’amour.
    « Un mot. Un seul, c’est tout ce que je demande. Pour me prouver que je me trompe », se dit-elle en tournant la tête.
    À cet instant, elle prit conscience que la cloche s’était tue. Elle se leva et alla ouvrir ses volets.
    Au loin, les premières lueurs de l’aube transformaient en miroir un petit étang sur lequel ne se reflétait aucun visage. C’était ce même étang qui avait, une nuit, assemblé toutes ses grenouilles pour faire chorus avec les ménestrels du mariage. « Tu vois bien que les grenouilles portent malheur », lui dit sa petite voix malveillante. « Oui, je sais », répondit-elle. Elle se souvint comme l’étang avait retenu son souffle, ému à la vue du nouveau couple, le matin suivant cette nuit-là. Puis, son bonheur se recroquevillant peu à peu, il s’était mis à geindre tout bas parmi ses roseaux.
    La porte s’ouvrit brusquement. Jehanne se retourna : Louis se tenait à l’entrée de la chambre, un bol dans une main, un stylet dans l’autre, des bandages au bras. Il posait sur elle un regard désapprobateur.
    — Que faites-vous là en plein courant d’air froid ? Refermez cette fenêtre tout de suite et remettez-vous au lit.
    — Oh, pas encore une saignée, dit-elle, obéissant à contrecœur. Il posa ses ustensiles sur la table de chevet et ranima le feu. Sans un mot, il vint s’asseoir sur le bord du lit. Il lui prit le poignet et tira son bras hors des couvertures. Jehanne se laissa faire. La saignée était l’un des rares moments où il restait un peu auprès d’elle et la touchait. À l’aide du stylet, il pratiqua une petite incision dans une veine de l’avant-bras. Jehanne grimaça. Il tint le bol sous le membre délicat et trop pâle d’où s’écoula un mince filet écarlate. Lorsqu’il se décida enfin à lui adresser la parole, ce fut pour dire :
    — Vos humeurs sont mal équilibrées. Il vous faudra faire un effort pour manger ce que je vous sers.
    — J’essaie, Louis. Vous le savez bien.
    — C’est vrai.
    — Ce ne sont pas les humeurs qui me rendent malade comme ça. Je suis aux abois.
    Il épongea la petite coupure et appliqua dessus un onguent coagulant avant d’y mettre le bandage.
    — Parlez-moi, Louis. Dites-moi quelque chose qui est sans rapport avec tous ces soins que vous me prodiguez.
    — Je reviens, dit-il, et il se leva pour quitter la chambre.
    Lorsqu’il fut de retour avec un bol de bouillon gras quelques minutes plus tard, il fit mine d’avoir oublié cette requête.
    Jehanne parvint à boire la moitié du bouillon avant d’être prise d’un violent accès de nausée. Presque tout de suite après, ses yeux s’agrandirent et sa main se posa sur le petit renflement de son ventre. Ce fut alors qu’elle prit pleinement conscience qu’elle n’était plus tout à fait seule avec son chaleil* : pour la première

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