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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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fois, elle avait senti le bourgeon d’humanité remuer en elle.
    À travers ses larmes et les derniers relents de sa nausée, elle ne put s’empêcher d’esquisser un sourire étonné.
    *
    Hiscoutine, matinée de la veille de la Nativité 1371
    Le traîneau grossier construit par Louis se traçait péniblement un chemin dans la neige neuve et molle. Tonnerre soufflait, courbant l’encolure, stimulé par les cris joyeux des fêtards qu’il ramenait d’Aspremont, où ils avaient passé la nuit de tempête. Il y avait là Toinot, Thierry, Blandine et le père Lionel. Ce dernier partageait le banc avec Thierry qui conduisait, tandis que les deux autres « surveillaient les victuailles » à l’arrière. On faisait semblant de ne pas remarquer que Blandine tombait de plus en plus fréquemment, par accident bien sûr, dans les bras de Toinot qui, lui, ne se faisait pas prier pour la recueillir. Thierry, avec qui la cuisinière avait toujours flirté ouvertement, prétendit ne pas en prendre ombrage en s’absorbant dans la conduite de l’attelage.
    Louis les entendit venir depuis le bas de l’allée, pelle à la main. Il avait entrepris de déblayer l’entrée dès la barre du jour. La matinée était douce, invitante, imprégnée de ce silence d’une qualité unique que l’on ne pouvait retrouver qu’après une abondante chute de neige. L’air nacré portait encore de menues paillettes qui chatouillaient les joues. C’était l’un de ces matins à se laisser tomber sur le dos et à rire en dessinant les anges dont on pouvait sentir la présence sans les voir. À l’horizon, des nuages teintés de gris parlaient déjà de redoux.
    Blandine bondit hors du traîneau, suivie par la masse trapue de Toinot qui la poursuivit en fabriquant à toute vitesse des boules de neige. La servante, hilare, détala sous une grêle soudaine. Pendant ce temps, le traîneau, subitement rendu plus léger pour Tonnerre, effectuait sans eux la fin de son parcours jusqu’à l’entrée.
    Lionel sauta en bas de son banc et dit :
    — Bien le bonjour, mon fils. Nous voici de retour avec la corne d’abondance. Blandine a rempli ce traîneau de tant de provisions qu’elles seront quasi inépuisables.
    — Allez-y, dit Louis, qui se poussa sur le côté afin de leur livrer passage.
    Il s’appuya sur sa pelle. Ses pauses de plus en plus fréquentes l’obligeaient à se trouver des choses à regarder. Blandine, qui revenait avec Toinot en s’enfonçant dans l’épais tapis blanc, était comme lui couverte de neige. Tous deux vinrent donner un coup de main à Lionel et à Thierry, qui avaient entrepris de décharger le traîneau.
    — Pour une fois que c’est nous qui sommes allés en ville et pas vous, ça me fait tout drôle, dit-elle. En tout cas, on s’y est bien amusés.
    Ce disant, elle fit à Louis un clin d’œil fripon. Lionel revint chercher les derniers paquets.
    — Cette maison est déserte, ma parole. Aurait-on par mégarde semé du monde en chemin ? Où sont les autres ? Où est Margot, notre maman géline* ?
    — Hubert l’a emmenée faire la sage-femme au village tard hier soir.
    — Oh, quel dommage. L’avoir su avant, nous les aurions attendus et ramenés.
    Louis fit disparaître le bout ferré de son outil dans la neige molle et serra les lèvres afin de retenir ses halètements.
    — Avez-vous une seconde pelle ?
    — Non, c’est la seule que j’ai.
    — Eh bien, dans ce cas, je vais rentrer de ce pas pour prêter main-forte à Blandine. Nous allons aujourd’hui donner un air de fête à cette maison, mon bon ami.
    — J’ai fait le ménage.
    — Je parle de décorations, maître.
    — Comme vous voulez.
    — Croyez-vous que cela dérangera Jehanne ?
    — La porte de sa chambre est fermée.
    — Ah bon, je vois. Eh bien, à tout à l’heure.
    — C’est ça.
    « Sa chambre. Bien sûr. L’âme de cette maison est atteinte et je ne trouve rien de mieux à faire que d’y poser des décorations », se dit l’aumônier avec une soudaine lassitude.
    Pendant ce temps, Blandine avait entrouvert l’un des volets de la grande pièce afin de recueillir sur le rebord de la fenêtre un petit plat de crème qu’elle y avait mis à refroidir.
    — Mon père, venez donc un peu par ici. Il se passe quelque chose de pas normal.
    — Quoi donc ?
    — Regardez-le s’éreinter.
    Louis piochait de plus en plus faiblement dans une accumulation de neige appesantie par la douceur

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