Le Sang d’Aphrodite
dévolu ?
L’espace d’une seconde, Philippos pensa tout lui avouer, mais la honte le rendit muet. Pour l’heure, il ne pouvait rien confier à Artem, sinon un élément qui ne mettait en cause que son appareil olfactif.
— Tu as vu juste, cela concerne Nadia, reconnut-il en détournant les yeux. Il y a un détail qui m’a troublé… et que j’ai du mal à expliquer. À un moment, nous étions seuls, Nadia et moi, et j’ai voulu, euh… Bref, je me suis penché vers elle, et soudain, j’ai senti ce parfum, le Sang d’Aphrodite. J’en aurais mis ma main au feu, je ne me trompe jamais pour ce qui est des odeurs ! Mais un peu plus tard, j’ai obligé Nadia à me montrer son parfum. Le flacon est différent, l’odeur non plus n’est pas la même. Pourtant, sur le coup, j’aurais juré…
À sa surprise, Artem prit son récit très au sérieux et lui fit exposer par le menu tout ce qui l’avait troublé. Quand il eut terminé, le droujinnik l’étreignit affectueusement.
— Il n’y a rien d’étonnant à ce que tu m’as raconté. Marfa s’est éclipsée juste avant de vous laisser en tête à tête, Nadia et toi, n’est-ce pas ? Elle était restée un bon bout de temps à côté de son amie et l’a embrassée en partant : voilà tout le mystère ! Tu n’ignores pas à quel point cette fragrance est tenace, elle colle pour ainsi dire à la peau. Ce que tu as senti, c’était le parfum de cette pauvre Marfa, pas celui de Nadia.
Philippos poussa un soupir de soulagement.
— À propos, tu es toujours aussi épris de cette mignonne ? lui demanda le droujinnik d’un ton malicieux. J’espérais que tu étais un peu dégrisé !
Philippos baissa la tête.
— Je l’aimerai tant que je vivrai, murmura-t-il avec un air malheureux. Mais il faut reconnaître que… parfois, elle me joue des tours tellement pendables que j’ai envie de l’étrangler de mes propres mains !
Artem n’eut pas le temps de répondre. Ils entendirent un bruit de pas, des éclats de voix, puis deux gardes portant des torches firent leur apparition près du pavillon. Ils escortaient un petit bout de femme grassouillette, emmitouflée des pieds à la tête dans un châle bariolé. Bouche bée, Philippos reconnut Fania, la nourrice de Nadia. Avant qu’il ait pu proférer une parole, la femme tomba à genoux devant Artem en vociférant :
— Oh, boyard, oh, notre petit père bien-aimé, n’ordonne pas de châtier une vieille femme stupide, mais ordonne de lui pardonner et viens à son secours !
— Que s’est-il passé, petite mère ? s’enquit Artem d’un ton posé.
— Ma colombe, Nadia… Elle a été enlevée !
1 - Voir La Nuit des ondines , 10/18, n° 3121.
CHAPITRE XVI
Philippos marchait de long en large, serrant sa tête entre ses mains. Il avait l’impression de perdre la raison. Artem et lui venaient d’entendre le récit confus de la nourrice de Nadia. Il en ressortait que l’un des admirateurs de la jeune fille – un courtisan « attifé tout or et tout rubans » – était venu lui rendre visite en fin de soirée. Grom était parti pour la grande foire qui se tenait à Tourov, la capitale de la principauté voisine, et ne devait rentrer qu’au bout de trois jours. Contrairement aux consignes laissées par lui, Nadia avait ordonné de servir des boissons dans la grand-salle pour s’y installer en compagnie de son hôte. Fania, fidèle à son habitude de laisser traîner une oreille dans les couloirs, avait entendu parler fiançailles et mariage. Rassurée par la décence de ces propos, elle s’était alors assoupie. Quelques minutes plus tard, alertée par le silence qui régnait dans la salle, elle y avait jeté un coup d’œil… pour constater que celle-ci était vide ! Elle s’était précipitée dehors. En ouvrant le portail, elle avait vu la calèche du visiteur disparaître au tournant dans un nuage de poussière. Un domestique ayant confirmé que la jeune maîtresse était partie avec l’inconnu, Fania était accourue au palais pour avertir Artem en personne. Cependant, elle n’était point parvenue à décrire le ravisseur de manière concluante.
— Comment veux-tu qu’on le reconnaisse ? s’exclama le garçon en s’arrêtant de nouveau face à Fania. Tu l’as sûrement déjà aperçu chez ta maîtresse. Te souviens-tu de quelques signes distinctifs ?
— Mais je me tue à te le répéter ! gémit la nourrice. C’était un chenapan pomponné et
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