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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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lèvres, sa suivante avait
promis :
    — La mort sera douce, madame.
Nous pénétrons dans la lumière. Avez-vous peur ?
    — Tais-toi, Sybille.
    Elles avaient avancé vers l’autel.
Agnès s’était défaite de son manteau, puis avait dénoué la mince ceinture de
cuir qui retenait sa robe sous les seins et dissimulait son ventre plein. Sur
le coup, elle n’avait presque rien senti. Puis, le froid implacable lui avait
fait monter les larmes aux yeux. Elle avait fixé le crucifix de bois peint,
avant de tomber à genoux, mains jointes sur son ventre. La mort avait fondu sur
Sybille si prestement. Pourtant, la très jeune fille avait répété jusqu’à son
dernier souffle : Adoramus te, Christe [101] . Adoramus te, Christe. Adoramus te, Christe.
    Enfin, le corps d’Agnès avait fléchi
vers l’avant. La pierre gelée l’avait épousée sans compassion. Elle avait
étendu les bras en croix, attendant la fin, priant pour le futur de Mathilde,
se répétant qu’elle péchait contre son corps et son esprit, contre cet enfant
qu’elle sentait en elle, et ne méritait nul pardon. Elle avait supplié pour
être maudite seule. Sa conscience l’avait abandonnée peu à peu. Et puis une
voix autoritaire avait résonné, lui ordonnant de se lever, de vivre. Gisèle, la
vieille nourrice.
    Gisèle avait bagarré contre elle, la
contraignant à rejoindre ce monde qui la terrorisait tant.
    Sybille était morte, le bébé fille
qu’elle portait également. En revanche, Clémence était née moins d’une heure
plus tard.
    Si Clémence avait été un mâle, sans
doute Agnès aurait-elle bravé les rumeurs perfides en l’annonçant comme l’hoir
posthume d’Hugues de Souarcy. Elle n’était plus à une tromperie près. Mais une
autre fille ne changeait rien à son destin de veuve sans fils. Du coup, ce
fruit bâtard devenait une menace pour son douaire, lequel pouvait lui être
retiré si preuve de sa méconduite était apportée, ce dont Eudes se serait
aussitôt chargé.
    Une peine effroyable, et pourtant
familière, lui coupa les jambes. Si Clémence venait à apprendre qu’elle était
sa fille, lui pardonnerait-elle un jour cette méprisable mystification ?
Excuserait-elle d’avoir été écartée de sa mère, de sa place, de son rang, aussi
médiocre fût-il ? Tout cela, toutes ces années de mensonges, de remords
pour en arriver là, à la terreur de perdre à jamais l’être qu’elle aimait plus
que sa vie.
    — Madame ? Madame, vous
m’inquiétez… Vous êtes livide, vous…
    La voix pressante de Leone la tira
de la spirale venimeuse du passé, la ramenant à la grande salle. Elle
tremblait. Au prix d’un effort, elle parvint à articuler d’une voix à peu près
posée :
    — Votre pardon, chevalier. Je
vaguais dans mes souvenirs. Ils ne sont guère lumineux. Cela étant, je n’aurais
pas le front de revendiquer la lumière, ajouta-t-elle dans un pauvre sourire.
    — Vous avez raison sur ce
dernier point : il ne sert à rien de la revendiquer.
    Elle ne comprit pas ce qu’il voulait
dire, mais ne risqua aucune question. Il lui sembla soudain fondamental de
reprendre pied dans le présent, d’abandonner pour un moment ces souvenirs qui
empoisonnaient sa mémoire. D’un ton plus assuré, elle reprit :
    — Je mérite quelques
éclaircissements, chevalier.
    — Ne vous méprenez pas. Il ne
s’agit pas de ma part d’une volonté de duplicité, de mystère. Je crains… Je
redoute de vous pousser vers le danger, et une telle idée m’est intolérable.
    — Allons, monsieur ! On a
tenté de me détruire en me jetant dans les griffes de l’Inquisition. Avant
cela, on avait essayé de m’incriminer dans une série de meurtres abjects dont
les victimes étaient des moines, des émissaires de feu notre regretté
saint-père. Ce mouchoir de ma lingerie, abandonné non loin d’un des émissaires
occis. Ce « A » retrouvé sous ces pauvres cadavres malmenés. Cette
méfaisante de servante, sans doute.
    — Le A ? Oh… cette lettre
fut bien tracée par les émissaires et n’a rien à voir avec votre prénom ni aucun
autre. Il est l’initiale d’ apokalupsis.
    — L’apocalypse ?
    — Pas au sens calamiteux où
nous l’entendons. La révélation, la venue, l’illumination. Une renaissance. Le
début d’un autre univers.
    — Quelle renaissance ?
Quel univers ?
    — M’en demandez-vous une
description ? Je n’en possède point. L’espoir.
    L’agacement rattrapa Agnès

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