Le sang de grâce
d’Annelette de
soulever ses jupes épaisses et de se contorsionner afin de récupérer une clef,
la clef de secours du bureau découverte dans le coffre de l’abbesse défunte.
Elle la tendit à la jeune fille, une lueur de victoire dans le regard.
— Vous êtes une perle, ma
chère. Il vous faudra me raconter plus tard comment vous vous la procurâtes.
— Obéir ne signifie pas être
une perle. On m’a demandé de restituer UNE clef, j’ai aussitôt obtempéré. J’en
possédais deux.
Esquive introduisit le double dans
la serrure mais Annelette la retint :
— Patientez un instant. Madame
de Neyrat dort non loin. Nous ne pouvons pas entreprendre de fouille. Or Jeanne
est ressortie sans les volumes. J’avoue qu’elle est encore plus rouée que je ne
l’aurais cru : dissimuler les ouvrages sans les dissimuler. Astucieux, en
vérité. Il n’est point tant de meubles dans le bureau susceptibles d’accueillir
des manuscrits de cette taille, si ce n’est le bahut des registres.
— J’insiste, vous êtes une
perle ! Restez ici, ma sœur. Un guetteur ne sera pas de trop. Une intruse
risque moins de se faire repérer que deux.
L’apothicaire opina et
concéda :
— D’autant que la délicatesse
de gestes n’est pas ma qualité principale.
Il sembla à Annelette Beaupré qu’une
éternité s’écoulait jusqu’au retour de la jeune fille. Lorsqu’enfin elle
réapparut, les yeux de l’apothicaire s’agrandirent, et son visage se figea.
Elle parvint avec grande difficulté à formuler sa question inquiète :
— N’y étaient-ils pas ?
— Que si… la détrompa l’autre,
rayonnante. Mais je les ai déplacés jusqu’à demain ou après-demain derrière
d’autres centaines de livres de la bibliothèque secrète dont ils viennent
d’être volés et dont nous possédons la clef. À astuce, astuce et demie !
Je parviendrai ensuite à les faire sortir sans mal et à les remettre au
chevalier de Leone. (L’hilarité alluma son regard ambre lorsqu’elle
avoua :) Je donnerais cher pour voir la déconfiture de la tourière lorsqu’elle
inspectera à nouveau le contenu du bahut à registres.
— Quelle excellente idée vous
avez eue, soupira l’apothicaire. Et que faisons-nous de Jeanne ? Nous ne
pouvons la laisser vaquer en toute impunité.
— N’ayez crainte. On prétend
que les fauves ne se mangent pas entre eux, ce qui prouve une grande
méconnaissance des mœurs féroces. Annelette, nous avons remporté une belle
victoire et je vous en remercie du fond de l’âme. Sans ces précieux ouvrages,
les autres ne peuvent plus rien… Enfin si, mais ils ne remonteront pas jusqu’au
deuxième thème.
Alarmée par sa gravité,
l’apothicaire chuchota :
— Ah non, ne m’annoncez pas que
vous repartez sous peu !
— Si fait, ma bonne amie, et je
le déplore. Je m’en veux de vous laisser seule. Le temps presse, vous le savez.
Cela étant… je patienterai jusqu’au spectacle de l’ire de notre chère abbesse.
Il ne devrait tarder.
Manoir de Souarcy-en-Perche,
décembre 1304
Clément papillonnait des paupières.
Il avait rejoint le chevalier dans
son coin de grange sitôt la maisonnée couchée. Il n’avait pas attendu d’être
installé à ses côtés pour attaquer :
— «… 1… me… na… il… per… t…»
Que signifie cette phrase qui fut grattée de votre carnet ?
L’hospitalier n’avait pas répondu
aussitôt. Enfin, après ce qui avait semblé une lutte intérieure, il avait
lâché :
— « La lignée vient par
les femmes. C’est de l’une d’elles que renaîtra le sang différent*. Ses filles
le perpétueront. »
— Agnès.
— Sans doute.
— Comment cela « sans
doute » ? Le premier thème est le sien, n’est-ce pas ?
— Selon toute vraisemblance, du
moins si la partialité de l’éclipse ne l’exclut pas.
— Que voulez-vous dire,
chevalier ?
— Selon la prophétie contenue
dans le parchemin araméen dont nous ignorons la cachette, cette naissance si
cruciale devait être saluée par une éclipse. Elle n’était pas totale le jour de
la venue au monde de madame de Souarcy J’ignore l’importance réelle de ce
détail.
— De quelle lignée
s’agit-il ?
— J’en ai déjà trop dit,
Clément. Nos ennemis sont prêts à tout pour étouffer ce secret, ils l’ont
prouvé maintes fois. La mise en accusation de madame de Souarcy, le meurtre de
ma tante en étaient de nouvelles
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