Le sang des Borgia
parsemée de maigres buissons et de rares oliviers. Un chemin donnait sur les collines ; il n’y avait pas une âme en vue.
César ordonna à la moitié de ses hommes d’emporter leurs armes ; les autres resteraient à bord des galions jusqu’à ce qu’ils aperçoivent un signal leur indiquant que la ville avait été prise.
Puis il suivit Duarte sur le rivage en se raccrochant à une corde. Les soldats rassurés les imitèrent, un par un, sans jamais lâcher le filin.
Une fois à terre, ils se séchèrent au soleil ; après quoi, César leur fit grimper un chemin très raide et sinueux à travers les collines. Une heure plus tard, ils étaient en haut d’une crête, de laquelle on apercevait la cité et le port.
Comme Duarte l’avait prédit, à l’entrée de celui-ci étaient placés d’énormes canons pointés vers le large : mais ils étaient en position fixe et ne pouvaient être manœuvrés. Un examen plus attentif ne révéla qu’une maigre milice qu’ils voyaient évoluer sur la place.
Les troupes de César descendirent à pas de loup jusqu’à l’entrée de la ville.
— Chargez ! Chargez ! s’écria-t-il alors.
Poussant des hurlements, ils descendirent la grand-rue en courant. Pris par surprise, les défenseurs, beaucoup moins nombreux, eurent tôt fait de se rendre.
Les habitants, terrorisés, s’enfermèrent chez eux. César envoya un détachement de ses hommes s’assurer des canons, et un autre prendre le contrôle des mines, Brandao partant s’emparer des quais. Le taureau des Borgia et la flamme de César furent hissés au mât de la cité.
Quand une délégation un peu crispée osa s’aventurer sur la place, César se nomma et déclara que l’île était désormais sous contrôle pontifical, en assurant que ses habitants n’avaient rien à craindre.
Ses huit galions génois faisaient déjà le tour de l’île pour entrer au port. Ils vinrent s’amarrer aux quais, et les soldats restés à bord descendirent à terre.
César procéda à une inspection des mines, choisit les hommes qui resteraient dans l’île pour en assurer la maîtrise, fit remonter les autres à bord de ses navires et regagna le continent.
Duarte et lui s’étaient emparés de l’île d’Elbe moins de quatre heures après avoir débarqué sur la plage. Accompagnés de Michelotto et de Geoffroi, tous deux reprirent le chemin de Rome.
25
Les cardinaux Giuliano Della Rovere et Ascanio Sforza se rencontrèrent en secret autour d’un déjeuner très simple de prosciutto, de poivrons rouges sautés ruisselant d’huile d’olive, parsemés de pointes d’ail, et de pain sortant du four – le tout accompagné d’un vin auquel ils firent honneur.
— Je n’aurais jamais dû voter pour Borgia lors du conclave, dit Sforza. Être son vice-chancelier, quelle tâche impossible ! Il est pourtant doué pour les tâches administratives, mais il est père avant tout, à tel point que le temps qu’un autre pape occupe le trône de saint Pierre, l’Église aura fait faillite ! On a vidé les coffres pour financer la campagne de César Borgia en Romagne, tant il lui faut d’argent pour payer ses troupes ! Et aucune femme du monde n’a de garde-robe aussi somptueuse que lui !
Le cardinal Della Rovere eut un sourire entendu :
— Mon cher Ascanio, tu n’as quand même pas fait tout ce chemin pour flétrir les péchés du pape : tout le monde les connaît ! Tu as sans doute d’autres raisons, mais j’avoue que pour le moment elles me demeurent invisibles.
Sforza haussa les épaules :
— Que puis-je te dire ? Mon neveu Giovanni a été humilié par les Borgia, qui se sont emparés de Pesaro ! Ma nièce Caterina, certes redoutable virago, est détenue dans l’un des châteaux de César, qui lui a confisqué ses fiefs ! Mon propre frère, le More, a été capturé et emprisonné par les Français ; Milan est désormais entre leurs mains ! Et voilà que j’apprends qu’ils ont conclu avec Alexandre et l’Espagne un pacte secret aux termes duquel ils se partageront le royaume de Naples ! C’est une abomination !
— Et quelle solution proposes-tu ? demanda Della Rovere.
Il s’était attendu à ce que Sforza vienne le voir plus tôt. Raison supplémentaire pour se montrer vigilant : on n’était jamais trop prudent, la trahison étant partout. Les deux cardinaux étaient servis par des gens qui avaient juré le secret ; mais quelques ducats peuvent rendre l’ouïe aux sourds et
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