Le sang des Borgia
indigne de toi ! J’ai du mal à y croire. Bien entendu, cela t’est toujours possible, mais dans ce cas nous prouverons devant les tribunaux que nous sommes les maîtres légitimes de tes fiefs. Et ta duplicité ne fera que renforcer notre position.
— Tu y comptes vraiment ? C’est moi qui ai du mal à te croire ! Il y a quelque chose d’autre que tu ne me dis pas.
César eut un sourire enchanteur :
— Je me montre sans doute trop sentimental, mais à la vérité il m’est pénible de penser qu’une aussi belle créature finisse ses jours dans un donjon. À quoi bon ?
Caterina fut agréablement surprise, mais il n’était pas question pour autant de faire trop de compromis. Elle avait un secret – le lui confierait-elle ? C’était une décision qui demandait un certain temps de réflexion.
— Reviens demain, dit-elle, que je puisse y penser.
Quand il arriva, elle avait pu se baigner et se laver les cheveux, grâce aux servantes qu’il lui avait envoyées, et paraissait beaucoup plus attirante, même si ses vêtements étaient encore en piteux état.
Il s’avança vers elle. Caterina fit de même. Il l’attira contre lui, la jeta sur le sofa et l’embrassa passionnément. Mais elle se dégagea et il préféra ne pas insister.
— Je ferai comme tu veux, dit-elle en lui ébouriffant les cheveux, mais on va dire que tu es fou de te fier à moi.
— C’est déjà fait ! S’il ne tenait qu’à mes lieutenants, tu flotterais déjà dans le Tibre. Où comptes-tu aller ?
— À Florence. Imola et Forli sont hors de question, les parents que j’ai à Milan sont si ennuyeux… Au moins Florence est une ville intéressante. Peut-être même y trouverai-je un époux – que Dieu lui vienne en aide !
— Il aura bien de la chance, répondit César en souriant. Les documents seront là ce soir, tu peux partir dès demain… sous bonne escorte, naturellement.
Il se leva et se dirigea vers la porte, puis s’arrêta.
— Prends garde à toi, Caterina.
— Et toi aussi !
Une fois qu’il fut parti, elle se sentit bizarrement triste, ayant la certitude que plus jamais ils ne se reverraient, et que par conséquent il ne saurait pas que ses maudits papiers n’avaient pas la moindre importance. Car elle était enceinte de lui ; une fois mère de son héritier, les territoires qu’elle avait cédés lui reviendraient un jour ou l’autre.
Filofila était le poète à scandale le plus venimeux de Rome. Secrètement stipendié par les Orsini, il pouvait compter sur la protection du cardinal Antonio Orsini. Il était capable d’attribuer les pires horreurs aux personnages les plus respectés, les actions les plus viles aux plus puissants. Il pouvait également s’en prendre aux villes : Florence était ainsi la grande prostituée, pleine de richesses et d’artistes, mais sans guerriers, peuplée d’usuriers, de créatures des Turcs, de sodomites. En bonne putain, elle se vendait à toutes les puissances étrangères pour qu’elles la protègent, au lieu de s’allier avec les autres cités italiennes.
Bien entendu, Venise était cette cité des doges, secrète, sans merci, prête à vendre le sang de ses propres citoyens ou à les exécuter, pour peu que cela lui permît d’acheter de la soie en Orient. Un énorme serpent tapi dans le grand canal, attendant patiemment de s’emparer de tout fragment du monde civilisé passant à sa portée. Une cité sans arts, sans artisans, sans livres, sans bibliothèques, à jamais sourde aux humanités. Experte en traîtrises, n’hésitant pas à tuer si cela pouvait lui profiter.
Naples était la ville du « mal français », la vérole, tout comme Milan était le sycophante du royaume de France, et le complice des sodomites de Florence.
Mais la famille Borgia était la cible des vers les plus fielleux de Filofila.
Il évoquait ses orgies au Vatican, les meurtres qu’elle commanditait à Rome et dans toutes les cités d’Italie. Poète éloquent, superbe prosateur, il prenait la plume pour affirmer qu’Alexandre était un simoniaque, qu’il avait vingt enfants naturels, trahissait la croisade, volait l’argent de l’Église pour financer les campagnes de César Borgia, afin que celui-ci s’empare de la Romagne et reprenne le contrôle des États pontificaux. Et pourquoi ? Pour engraisser sa famille, ses bâtards, ses maîtresses, se livrer à ses orgies ! Commettre l’inceste avec sa propre fille ne lui suffisait pas ; il lui
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