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Le sang des Borgia

Le sang des Borgia

Titel: Le sang des Borgia Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mario Puzo
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qu’on aurait pu entendre une étoile tomber des cieux.
    — Dieu jettera vos âmes en enfer, pour l’éternité, ceux qui suivent ces prêtres païens seront damnés ! Renoncez aux biens de ce monde et suivez l’exemple de saint Dominique !
    Une voix dans la foule lança :
    — Au monastère, vous mangez ce que vous offrent les puissants ! Vos assiettes ne sont pas de bois, vos fauteuils sont ornés de riches coussins ! Vous dansez au son du violon de celui qui paie !
    Savonarole frémit.
    — À compter d’aujourd’hui, l’argent du riche sera refusé. Les frères de San Marco ne mangeront que ce que leur offriront les citoyens de Florence. Le reste sera donné aux pauvres qui chaque soir se rassemblent sur la place ! Personne n’aura faim ! Toutefois, ce n’est là que se préoccuper du corps. Pour sauver vos âmes, il vous faut abandonner le pape de Rome. C’est un fornicateur, sa fille est une prostituée qui couche avec son père comme avec son frère !
    César en avait assez entendu : quand il apprendrait cela, Alexandre excommunierait Savonarole – et pourrait de surcroît l’accuser d’hérésie.
    L’homme inspirait à César des sentiments mêlés. Un visionnaire, sans nul doute, mais aussi un fou. Qui donc voudrait comme lui risquer le martyre, car il savait forcément ce qui l’attendait ? En tout cas, c’était quelqu’un de dangereux : il fallait le mettre hors d’état de nuire. Car il pourrait influencer la Signoria, et la dissuader de se joindre à la sainte ligue, ce qui compromettrait les projets d’unité du pape. Cela ne devait être permis à aucun prix.
    César s’habilla en hâte et sortit. Dehors, parmi la foule, un jeune homme maigre et pâle, revêtu d’une cape noire, vint vers lui.
    — Cardinal ! chuchota-t-il.
    César se tourna vers lui, la main sur l’épée dissimulée sous ses vêtements.
    L’autre s’inclina.
    — Mon nom est Niccolo Machiavel. Il nous faut discuter. Il est dangereux pour vous de rester dans la rue ; venez chez moi.
    Le regard de César s’adoucit ; Machiavel le prit par le bras et, lui faisant quitter la place, le conduisit chez lui.
    Les pièces étaient semées de livres, les bureaux surchargés de papiers qui parfois couvraient les fauteuils et même le sol. Un feu brûlait dans l’âtre de pierre.
    Machiavel offrit un fauteuil à César, qui s’assit en se sentant bizarrement rassuré. Son hôte leur versa du vin et s’assit face au visiteur.
    — Vous êtes en danger, cardinal. Savonarole se croit investi d’une mission sacrée. Pour lui, il faut chasser le pape et détruire la famille Borgia.
    — J’ai cru comprendre qu’il objectait à notre paganisme, répondit César d’un ton sardonique.
    — Il a des visions. Il a d’abord vu un soleil tomber du ciel – et Laurent le Magnifique est mort. Ensuite, il y a eu l’épée du Seigneur qui, venue du nord, frappait le tyran – et les troupes françaises ont envahi le pays. Il exerce un pouvoir extraordinaire sur les Florentins, qui craignent pour eux-mêmes et leurs familles, et croient qu’il a le don de double vue. Il dit que la pitié viendra avec des anges en robe blanche, mais seulement après la destruction des iniquités, quand les âmes des gens de bien obéiront à la loi divine et se repentiront.
    César était persuadé de la sincérité de Savonarole. Mais quiconque croit à ses propres visions doit se retirer du monde ; si elles sont authentiques, elles doivent lui annoncer son propre destin. De surcroît, cela revenait à nier le libre arbitre. Si le destin triomphe, quel rôle reste-t-il à la volonté humaine ? Les jeux étaient faits d’avance : elle n’y prenait aucune part.
    — Le pape va l’excommunier, dit-il à Machiavel. S’il continue à enflammer la populace, il sera mis à mort, car il n’y a pas d’autre moyen de le réduire au silence.
    Le soir, de retour à l’auberge, César entendit de nouveau la voix de Savonarole :
    — Le pape Alexandre est un païen qui s’inspire des dieux de l’ancienne Égypte ! Il se livre aux plaisirs mondains alors que nous, vrais chrétiens, devons souffrir ! Chaque année, pour remplir leurs coffres, les cardinaux nous imposent de nouvelles taxes ! Nous ne sommes pas des ânes qu’on peut traiter en bêtes de somme !
    César s’endormit peu à peu, bercé par cette voix prophétique :
    — Aux premiers temps de l’Église, les calices étaient de bois, mais la vertu du clergé était

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