Le sang des Borgia
rendre visite. Le temps pressait. Le lendemain de son arrivée, lors d’un somptueux banquet, il demanda à Lucrèce si elle voulait revenir accoucher à Rome. Alexandre sut se montrer convaincant, disant qu’il se faisait vieux et serait ravi d’avoir un petit-fils. Enchantée d’avoir retrouvé son mari, sachant qu’elle serait avec Julia et Adriana, sa fille accepta – et Alfonso aussi : ils s’étaient juré de ne plus jamais se séparer.
Avec Geoffroi, ils revinrent donc à Rome où un orchestre, des mimes et des jongleurs les attendaient aux portes de la ville.
Pendant l’absence de Lucrèce, le palais de Santa Maria del Portico avait été tendu de panneaux de soie et de magnifiques tapisseries. Le pape vint accueillir sa fille sans perdre de temps :
— Quelle heureuse journée ! s’exclama-t-il en la soulevant de terre malgré son état. Ma chère fille est de retour, et bientôt César arrivera en héros conquérant.
Il alla même jusqu’à prendre Geoffroi dans ses bras, tant il se sentait triomphant : ses prières avaient vraiment été exaucées.
Sa joie ne connut plus de borne quand, peu de temps après, il apprit les nouvelles de Milan. Et Lucrèce donna le jour à un beau petit garçon. Alexandre en fut à ce point ravi qu’il eut une syncope qui le contraignit à se mettre au lit pour la journée ; mais, dès qu’il fut remis, il entama les préparatifs du baptême.
20
César Borgia, vêtu d’une armure noire et monté sur un magnifique cheval blanc, rejoignit son armée à Bologne, au sortir de la ville. C’est là que mercenaires allemands, artilleurs italiens et officiers espagnols furent rejoints par d’importantes troupes françaises très aguerries.
Le roi avait tenu sa promesse.
Suivi d’un gonfalonier agitant la bannière des Borgia – un taureau chargeant, sur fond blanc –, César prit la tête de ses quinze mille hommes qui, empruntant la route de Rimini, se dirigèrent vers les villes d’Imola et de Forli.
Le soleil faisait briller le taureau d’or gravé sur l’armure de César. Elle était légère, tout en lui assurant une protection maximale ; il pourrait combattre efficacement, même s’il était contraint de mettre pied à terre.
Ses hommes, eux aussi en armure, et montés sur de lourds chevaux, étaient d’efficaces machines de guerre. Sa cavalerie légère se couvrait de cottes de maille et de cuir bouilli. Des hommes à qui rien ne résisterait, que l’on redouterait d’affronter.
L’infanterie se composait de Suisses armés de longues piques terrifiantes, d’Italiens et d’arbalétriers allemands, dont quelques-uns portaient de lourdes arquebuses.
Son arme la plus redoutable demeurait toutefois la puissante artillerie du capitaine Vito Vitelli.
Imola et Forli avaient toujours été en Romagne la source de problèmes incessants. Le féroce Girolamo Riario, issu d’une puissante famille du Nord de l’Italie et fils du pape Sixte IV, les avait un moment gouvernées. Il avait épousé Caterina Sforza, une nièce du Maure : à l’époque du mariage, ce n’était encore qu’une enfant. Quand, douze ans plus tard, son mari fut assassiné, elle monta à cheval et prit la tête de ses troupes lancées à la poursuite des meurtriers.
Lorsque ceux-ci furent capturés et amenés devant elle, sa vengeance fut terrible : elle les fit châtrer, puis enveloppa elle-même leurs parties génitales dans un mouchoir de lin qu’elle leur noua au cou avec des rubans pris dans ses cheveux.
— Je n’avais aucune intention d’être veuve, dit-elle. Désormais ces terres sont à moi.
Puis elle les regarda perdre leur sang jusqu’à ce qu’ils meurent.
Caterina avait ensuite proclamé qu’Imola et Forli reviendraient à son fils Otto, filleul d’Alexandre VI. Elle devint aussi célèbre pour sa cruauté que pour sa beauté : guerrière redoutable, mais très féminine. De longs cheveux blonds encadraient son superbe visage ; une très belle femme, bien qu’elle fût plus grande que la moyenne. Elle consacrait beaucoup de temps à ses enfants, et beaucoup d’argent à sa propre allure, à sa peau claire et sans défaut, à son imposante poitrine qu’elle aimait à découvrir. On disait même qu’elle tenait un registre pour y noter toutes sortes de formules magiques. Ses appétits charnels ne le cédaient en rien à ceux des hommes. Bref, une femme digne d’admiration pour les gens de cette époque : courageuse, cultivée, à la volonté de
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