Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
autre chose qu’un désolant constat, comme s’il avait dit « le lait est tourné ».
— Mauvais ? répéta Annia. Aussi mauvais que Caracalla ?
— Oui, mais dans un autre genre.
— C’est-à-dire ?
— Antonin est un enfant. Un enfant très imaginatif et cruel. Il aime éblouir ses invités mais surtout les surprendre et rire de leur déconvenue. Il imagine sans cesse de nouvelles plaisanteries, généralement de très mauvais goût. Ce soir, il cherchera sûrement à s’amuser à nos dépens.
— De quelle façon ?
Pomponius, considérant qu’il lui en avait assez dit et ne voulant pas l’effrayer davantage, haussa les épaules.
— Comment pourrais-je le savoir ? Je ne suis pas dans la tête de ce demeuré, ma chérie. Il va probablement nous servir quelques-unes de ces blagues grotesques et nous asséner des paroles obscènes pour choquer notre pudeur.
— S’il n’y a vraiment que cela à craindre, nous survivrons, répliqua Annia d’une voix où perçait l’incrédulité.
Pomponius se tut, troublé un instant par ses propres incertitudes. Quelles surprises les attendaient ce soir ? Annia avait-elle raison de s’alarmer ? Et que savait-elle au juste ? Que devinait-elle ?
Il eut un pincement dans la poitrine, au-dessus du cœur et, à son tour, se sentit soudain oppressé par une inquiétude douloureuse, comme un pressentiment.
— Tu voulais savoir ? dit-il en s’éloignant. Maintenant tu sais. Aussi prépare-toi.
— À quoi ?
— À tout.
Ce conseil en forme d’avertissement n’aida guère Annia à attendre avec sérénité le moment de paraître au palais.
Lorsque vint le soir, ils se rendirent en litière à la Domus Augustana. La nuit était absolument magnifique. Au-dessus des toits, une brise légère apportait des odeurs inconnues, des odeurs de campagne fleurie et d’herbe coupée ; le ciel fourmillait d’étoiles, comme un vaste morceau d’étoffe piqué d’éclatants et d’irréels scintillements ; la lune, pleine et ronde, enceinte de toute cette vie céleste et mystérieuse, veillait sur la ville qu’elle nacrait paisiblement de sa lumière blonde. Mais Pomponius et Annia Faustina, incapables de savourer la beauté de l’instant, regardaient sans les voir les milliers d’astres qui illuminaient cette belle nuit d’août. Pomponius semblait plus préoccupé et anxieux qu’il ne l’avait jamais été ; Annia, elle, ne disait rien, se contentait de lui tenir le bras, calme en apparence, mais poursuivie en dedans par une crainte inconnue.
Ils retrouvèrent au palais six autres sénateurs et constatèrent que trois d’entre eux étaient accompagnés de leur épouse. Il y avait là Caecilius Victor, Flavus, Demetrius, Proculus ainsi que le gros Didius Ciconia et le doyen de la Curie, Cypricus.
À peine furent-ils installés que l’empereur fit son entrée, suivi de ses inséparables amis : Myrismus, Claudius et Gordius. Seul Protogène manquait à la petite troupe, retenu sans doute par l’insatiable ardeur de Soemias.
Les favoris entrèrent sans saluer les invités, s’affalèrent sur les lits qui leur étaient réservés, tandis que Varius dévisageait d’un air parfaitement indifférent ses nouveaux convives.
Son regard ne s’attarda qu’un bref moment sur Annia, et son visage prit alors une expression admirative. Car Annia était, comme à l’accoutumée, la plus séduisante des femmes présentes, bien qu’elle n’eût pas particulièrement soigné sa toilette. Elle portait une robe qu’elle avait déjà mise dix fois et n’avait voulu se parer, pour l’occasion, d’aucun bijou. Désireuse de passer inaperçue et de ne surtout pas retenir l’attention d’un enfant qu’elle savait peu attiré par les femmes mais néanmoins suffisamment pervers pour les épouser, elle s’était à peine maquillée et avait volontairement oublié dans le coffre de sa chambre ses robes les plus colorées et les plus élégantes.
Mais en dépit de ses efforts et contrairement à l’effet recherché, elle resplendissait dans toute sa beauté naturelle. Sans parure, sans artifice, sa sensualité de Méditerranéenne n’en éclatait que plus franchement. Une stola très sobre, écrue, à l’échancrure sage, soulignait malgré elle les lignes épanouies et gracieuses de son corps ; un mince cordon marquait la finesse de la taille tandis qu’une autre ceinture, plus large, passée sous ses seins pour maintenir les plis du
Weitere Kostenlose Bücher