Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
et laborieux. Chargé de causes mineures, Sparus n’avait encore jamais plaidé devant une juridiction criminelle. Messala avait finalement emporté son accord par la promesse d’une importante rémunération et l’assurance qu’un procès politique lui permettrait non seulement de donner toute la mesure de son talent oratoire, mais pourrait bien être le tremplin d’une prometteuse carrière.
Sparus était un personnage falot et sans grande allure. Ses épaules chétives rendaient plus proéminente la saillie de son estomac sous la toge et une ridicule mèche rousse s’enroulait en couronne autour de son crâne dégarni.
Sitôt les chefs d’accusation énoncés par l’empereur, dans une déclaration brève et on ne peut plus laconique, Sparus fut invité à prendre la parole. Il lui fallut une éternité pour commencer sa plaidoirie ; il fit deux pas vers les gradins où siégeaient les sénateurs, respira bruyamment, aplatit sa mèche sur son crâne lisse, ajusta sa toge trop lâche sur son épaule, avant de se décider enfin à ouvrir la bouche :
— Le sénateur Pomponius Bassus a été présenté devant ce tribunal pour répondre de l’accusation de tentative de crime contre la personne de l’empereur Marcus Aurelius Antoninus. J’entends vous démontrer que Pomponius, qui a été quattuorvir, deux fois questeur, préteur, préteur tutélaire, deux fois quindecimvir, est un homme paisible qui s’est toujours fidèlement acquitté de ses devoirs envers sa famille, envers les dieux et envers l’État.
Et, après avoir couvert Pomponius de louanges destinées à faire comprendre aux jurés que jamais ce parfait exemple d’aristocrate romain n’aurait pu se rendre coupable d’un si abominable forfait, il en arriva à sa conclusion :
— Chacun d’entre vous sait que l’on ne peut rien reprocher à Pomponius Bassus. Je vous demande donc, Pères conscrits, de l’acquitter.
— C’est tout ? chuchota Scaber à Messala.
— Qu’est-ce que tu croyais ? répondit Messala d’un air sombre. Que j’avais déniché un magicien du verbe ? Cet abruti a perdu tous ses procès au civil.
Varius se mit à sourire malignement, de son sourire pincé, avant d’émettre un sifflement moqueur :
— Admirable, dit-il en frappant lentement des mains. Oui, oui… admirable. Sparus, vraiment, tu es un maître d’éloquence !
Puis, d’une voix volontairement suave, il s’adressa aux sénateurs :
— Puisque tout a été dit, passons au vote.
Mais l’avocat digérait mal l’injure qui venait de lui être faite. À la stupéfaction des Pères conscrits, il leva le bras en direction de l’empereur :
— César, dit-il avec une surprise feinte. Les débats n’ont pas eu lieu, le Sénat ne peut donc pas voter !
— Quels débats ? demanda Varius en fronçant le nez.
— La cour attend des preuves et des témoignages.
L’adolescent fit mine de ne pas comprendre et balaya cette remarque d’un geste d’indifférence despotique.
Sparus, plus tenace qu’on aurait pu l’imaginer de prime abord, n’entendait pas lâcher l’affaire si rapidement. Il fit remarquer que l’accusé n’avait été questionné ni par le préfet de la ville, ni par aucun magistrat, ce qui était normalement la procédure courante de l’ inquisitio. Pourquoi l’interrogatoire, qui permettait de rassembler des preuves contre le prévenu et de recueillir éventuellement le nom de ses complices, n’avait-il pas été mené ? Si l’empereur soupçonnait un complot, pourquoi n’avait-il pas ordonné une enquête ?
— César, déclara-t-il, tu as exposé les motifs qui ont conduit à l’arrestation de cet homme et à sa comparution devant la cour sénatoriale, mais si tu es à ce point convaincu de sa culpabilité, dis-nous quelles en sont les preuves. Il te faut expliquer au tribunal sur quels éléments indiscutables tu as pris la décision de faire juger le sénateur Pomponius.
Les yeux fixés sur l’empereur, il s’arrêta, pour voir quel était l’effet de ses propos.
Les épaules de Varius frémirent mais son visage resta impassible.
— Cet homme est un traître, déclara sèchement l’adolescent en se levant de sa chaise curule. Il n’est pas question qu’il soit remis en liberté.
— Où sont les preuves ? répéta l’avocat.
Varius serra la bouche pour empêcher son menton de trembler. Il se racla la gorge, déglutit avec difficulté.
— César ?
— Je sais de
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