Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
sur le char à Immae, si ce n’est ta propre cause ? Nous avons toujours fait le même rêve, toi et moi. Et ce rêve s’appelle Rome.
— À moins qu’il ne se nomme vanité, grommela Soemias.
— Vanité, richesse, puissance. Rome n’est-elle pas tout cela ?
Les deux sœurs se regardèrent fixement, au fond des yeux, d’une façon singulière, comme pour lire chacune dans l’âme de l’autre, espérant une défaillance qui mettrait enfin à nu leurs consciences respectives, espérant pour une fois, une seule fois, sonder le mystérieux bourbier de leurs esprits si étrangers l’un à l’autre et pourtant si semblables. Elles semblaient vouloir percer l’impénétrable secret de leur cœur, jusqu’au vif de leurs pensées les plus inavouables. Soemias la première mit fin à cette lutte intime et baissa les yeux.
— Si Varius adopte Alexianus, demanda-t-elle en s’adressant à sa mère, quelle garantie aurai-je que vous ne chercherez pas à le destituer au profit de son cousin ?
— Si Varius adopte Alexianus, répondit Maesa, tous nos problèmes s’en trouveront réglés. Et les problèmes de Varius également. C’est seulement à cette condition que ton fils peut encore espérer continuer à gouverner l’Empire et pour longtemps. Ce que je souhaite de tout mon cœur, contrairement à ce que tu crois.
Elle posa une main amicale sur le bras de sa fille.
— Nous ne devons pas nous déchirer mais faire face, ensemble. Nos ennemis sont nombreux, ne leur facilitons pas la tâche en leur montrant nos faiblesses.
Elle parlait maintenant avec tant de naturel et de sincérité que Soemias hésita.
Mais alors que cette dernière était sur le point de rendre les armes, Mammaea ne put retenir un petit sourire de satisfaction qui anéantit d’un seul coup les efforts stratégiques de sa mère. Voyant la lueur de triomphe, à peine perceptible et retenue, qui brillait au fond des iris noirs de sa sœur rivale, Soemias se redressa comme une chienne flairant le danger :
— Ne comptez pas sur moi ! dit-elle en retirant vivement son bras.
— Pauvre sotte ! grogna sa sœur.
— Ton cher Alexianus ne sera pas César ! ajouta Soemias. J’y veillerai !
— Bien, agis comme tu voudras ! coupa Maesa. J’essayerai de convaincre Varius moi-même. J’ai encore l’espoir qu’il n’est pas totalement dérangé. Mais, au cas où il refuserait d’entendre la voix de la raison, souviens-toi bien que je t’ai mise en garde.
Soemias haussa les épaules et lui rendit les libelles.
— Non, garde-les, fit Maesa en lui tournant le dos. Je n’ai nul besoin de ces petits morceaux de poésie pour me rappeler les turpitudes de ton fils. Il me suffit de me promener dans les couloirs du palais.
Mammaea emboîta aussitôt le pas à sa mère et, en passant près de sa sœur, se pencha à son oreille :
— Tu as eu ta chance, chacune son tour. Et ne t’en prends qu’à toi de l’avoir laissé passer…
* * *
— Comment espères-tu le persuader ?
— En flattant ses plus vils instincts, répondit Maesa. Je vais lui suggérer de confier à son cousin l’ennuyeuse corvée des audiences, des réunions au Sénat et des cérémonies publiques, pour que lui-même puisse se vouer plus librement à ses orgies et à ses liturgies.
Mammaea approuva d’un hochement de tête.
— Surtout ne le prends pas de front, lui conseilla-t-elle l’air soucieux. Il ne faut pas le brusquer.
Elles se séparèrent sur un baiser et Maesa, plus sombre que jamais, partit s’acquitter de sa pénible besogne.
Lorsqu’elle pénétra dans la chambre de Varius, elle dut s’arrêter de respirer tant l’odeur qui emplissait la pièce lui soulevait l’estomac. Au parfum du baume qui brûlait dans les lampes et se mêlait aux effluves écœurants de la lavande, s’ajoutait une odeur aigre de sperme et de sueur.
Allongé sur un lit, Varius semblait dormir à poings fermés. Autour de lui, les draps défaits portaient la trace de ses récents ébats.
Maesa l’observa, mal à l’aise. Le jeune empereur ronflait et tirait une langue rouge entre ses lèvres retroussées, ses lèvres enflées d’avoir trop baisé, ouvertes comme un énorme et répugnant goulot. Sa grand-mère s’étonna de ne pas avoir remarqué à quel point son visage avait changé ; abîmé par trois années d’excès, il accusait des traits lourds et empâtés, sa peau était devenue épaisse, ses paupières bouffies et ses yeux
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