Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate

malade.
    Bientôt, des terreurs superstitieuses et irraisonnées s’emparèrent de lui et menacèrent de le faire sombrer tout à fait dans la folie. Accroupies, tapies dans les coins les plus sombres de son esprit torturé, les hideuses chimères de la superstition se redressaient, s’élançaient à l’assaut de sa raison, anéantissant sa lucidité et le peu de bon sens qui lui restait.
    Non content de douter de leur loyauté et de craindre leur trahison, il se mit à prendre les gens qui l’entouraient pour des êtres dotés de pouvoirs surnaturels, les imagina doués d’une malfaisance mystérieuse, de capacités occultes et criminelles.
    Ainsi, lorsqu’il surprenait Claudius et Myrismus en train de s’entretenir à voix basse, il prenait un air alarmé et allongeait les doigts dans leur direction, comme pour les poignarder de l’auriculaire et de l’index, en leur jetant des incantations conju-ratoires.
    Parfois encore, il se plantait devant Protogène et le regardait avec une intensité effrayante. Avant même que celui-ci n’ait eu le temps de réagir, il tournait trois fois sur lui-même, tout en traçant autour de l’aurige stupéfait un cercle imaginaire et protecteur.
    La nuit ne lui apportait pas davantage de répit. Des cauchemars horribles le torturaient jusqu’aux premières lueurs du matin et l’empêchaient de trouver l’apaisement dans le sommeil. Son imagination reprenait de plus belle toutes les fantasmagories hallucinantes que sa pensée lui suggérait le jour et jouait, dans la chambre noire et effrayante de ses rêves, la tragique, l’inéluctable, l’odieuse représentation de sa mort annoncée. Alors, pour échapper à sa peur et à ses hallucinations, l’adolescent marchait durant des heures dans sa chambre, les yeux grands ouverts dans l’ombre. Pour épargner le repos de Hiéroclès autant que sa propre dignité, il chassait son jeune amant, le cœur meurtri. À l’aube, les esclaves retrouvaient l’empereur de Rome ramassé sur le sol, la tête entre ses bras repliés, le visage caché, dans l’attitude d’un enfant terrorisé.
    * * *
    — Le seul moyen d’en finir, lui conseilla Soemias, c’est de te débarrasser d’Alexianus.
    — J’y ai déjà pensé, figure-toi. Je ne pense même qu’à cela !
    — Alors qu’attends-tu ? Il n’y a plus un instant à perdre, le pressa sa mère.
    — Je vais lui retirer son titre de César ! cracha Varius, haineux. Demain, ce merdeux ne sera plus rien ! Et je vais éloigner cette petite teigne de Rome, pour ma sécurité ! Je n’ai pas l’intention de continuer à nourrir et à supporter ce sale fils de chienne qui prépare mon meurtre ! Je ne voulais déjà pas d’un rejeton vertueux, je ne vais pas m’encombrer plus longtemps d’un fils parricide !
    — Tu peux effectivement l’évincer par les voies légales, déclara Soemias, mais il existe une solution plus radicale. Tue-le.
    — Non, d’abord la déchéance ! Mais je te jure que s’il persiste dans son intention de me nuire, je lui ferai arracher les yeux et le cœur !
    Parvenu au plus haut point de la colère dont l’intensité avait fait jaillir spontanément cette menace, il s’effondra sur son oreiller.
    Hiéroclès, qui avait réussi à le distraire de ses terreurs nocturnes cette nuit-là et se trouvait par conséquent allongé à ses côtés, approuva cette décision d’un signe de tête.
    — Parfait, fit Soemias, convoque le Sénat et terminons-en. Mais surtout, le prévint-elle, ne parle à personne de ton projet. Mammaea a des yeux et des oreilles partout dans ce palais.
    — Je ne parle plus à personne, bougonna Varius en se recroquevillant dans son lit.
    Hiéroclès tendit vers lui son bras musclé et l’adolescent se coula instinctivement dans cet étau protecteur. Blotti contre le torse puissant de son cocher, la tête nichée au creux de ses épaules, l’empereur dévisagea celui-ci avec adoration. Puis, soudain, un air de satisfaction, né d’une idée lumineuse, élargit sa grosse bouche et alluma ses yeux fauves :
    — Je sais comment clouer le bec à ce morveux ! s’exclama-t-il, revigoré. Je vais désigner un autre César !
    — Un autre César ?
    — Hiéroclès sera mon héritier !
    Sa mère marqua un petit sursaut de surprise, mais devant l’air enfin réjoui et déterminé de son fils, elle eut la faiblesse d’esprit de ne formuler aucune objection.
    — Que penses-tu de ma décision ? demanda