Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
pitoyable participation des Pères conscrits à cette procession exotique.
En effet, à quelques pas du char sacré, les sénateurs, la mine atterrée, avançaient dans des déguisements grotesques. Les uns portaient sur la tête des vases emplis de parfums et d’encens, les autres faisaient vibrer maladroitement les cymbales ou frappaient, sans grand enthousiasme, sur des tambourins.
Pour le peuple, la surprise fut non seulement totale, mais accablante. Il était tout bonnement inconcevable qu’on ait obligé ces anciens magistrats, ces aristocrates investis d’une autorité morale et d’une dignité depuis presque mille ans, ces fiers consuls, ces préteurs, ces légats de l’armée romaine, à s’attifer comme des mages levantins ! Le spectacle des vénérables Pères conscrits coiffés à la mode syrienne, affublés de colliers, de bracelets et d’amulettes, défilant dans de longues robes traînantes et bariolées, ceinturées de tissus écarlates, le visage fardé et les joues peintes, laissa plus d’un Romain sans voix.
— J’entends que vous participiez à cette procession, non pas en tant que représentants du Sénat, mais en tant que fidèles desservants d’Élagabal, leur avait précisé l’empereur, quelques jours auparavant. Et j’entends que vous y mettiez tout votre cœur…
Avant d’ajouter à cette invitation une menace nettement plus explicite : « Toute tête que je ne verrai pas dans le défilé tombera dans l’heure qui suivra. »
Parvenue enfin sur les sommets de l’Esquilin, devant l’esplanade du nouveau palais, la procession s’arrêta. Varius, escorté par sa garde, quitta le cortège pour aller retrouver Claudius, à l’écart de la foule.
— Claudius, lui annonça l’empereur avec une solennité exagérément affectée, c’est le moment : mon peuple attend ses cadeaux.
Le préfet de l’annone opina du chef et s’éloigna aussitôt pour donner ses ordres aux esclaves.
De chaque côté du parvis se dressaient deux larges tours de bois, construites pour l’occasion, de cinquante pieds de haut et surmontées de palans. Sur leur plateforme, où s’étaient regroupés des esclaves impériaux, avaient été entassés des montagnes d’objets précieux, des vases, des amphores, des sacs emplis de pièces, des vêtements de soie, des rouleaux d’étoffe, des glaives, des coffres, des défenses d’éléphant. Puis, à l’ébahissement général, on y hissa, à l’aide de cordages et de poulies, toutes sortes d’animaux vivants, des poules, des chèvres, des ânes, des sangliers, des cerfs et même des chameaux.
Pendant ce temps, le peuple, averti que l’empereur s’apprêtait à faire distribution de présents, attendait à proximité des tours, suait, piétinait et s’impatientait.
Lorsque les premiers cadeaux furent jetés du haut des constructions, une espèce de folie furieuse s’empara des spectateurs qui se précipitèrent pour attraper, qui un faisan, qui une tunique, une cuiller en argent ou une simple pièce d’or. Les gens commencèrent naturellement à se bousculer sans ménagement, puis finirent rapidement par se battre pour recevoir cette manne impériale tombée du ciel.
Les bêtes les plus petites, précipitées par les esclaves, vinrent s’écraser sur le sol et se firent déchiqueter avec une sauvagerie monstrueuse par la plèbe hystérique. Des hommes se poussaient brutalement pour saisir au vol un poulet ou un poisson, s’acharnaient sur les cadavres des agneaux pour les dépecer et s’emparer des meilleurs morceaux. Des femmes s’arrachaient les étoffes coûteuses, les châles, les coussins brodés d’or tombés au sol, s’entretuaient pour avoir leur part du butin.
Mais une fois encore, les réjouissances virèrent vite au drame et les cris de joie aux larmes.
Les coupes, la vaisselle et les amphores que les esclaves balançaient dans le vide, sans égard pour la population massée sur l’esplanade, se fracassèrent sur le marbre en éclats meurtriers.
Lorsqu’on fit tomber sur la foule des bœufs, des cerfs et des chameaux, un sentiment de panique s’empara définitivement des spectateurs.
Afin d’échapper aux animaux et aux fragments tranchants des objets qui venaient à présent se briser sur lui, le peuple prit la fuite et s’éloigna précipitamment des abords des tours.
Les hommes de la garde prétorienne, soudain débordés par la foule qui tentait de s’échapper dans le plus grand désordre de ce
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