Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
noire.
— Tu es bien matinale, lui dit sa mère en posant un baiser dénué d’affection sur son front.
— Je ne me suis pas couchée, répliqua Mammaea. Je ne dors plus guère la nuit, ces derniers temps. Pas toi ?
— J’étais justement en train de parler avec Valerius des désagréments et des privilèges de la vieillesse, fit Maesa. Dormir est une activité qu’on ne pratique plus guère à mon âge. Mais chaque inconvénient a son avantage : rester éveillée des nuits entières me donne tout le loisir de réfléchir.
Mammaea frissonna dans sa stola.
— Quand sortirons-nous enfin de ce cauchemar ? soupira-t-elle. Chaque nuit je me retourne dans mon lit, craignant pour la vie de mon fils et la nôtre. Chaque jour, je me demande ce que ce dément a bien pu inventer pour précipiter notre perte.
— Tout sera bientôt fini, la rassura Maesa.
— Que les dieux t’entendent, souffla sa fille. Je n’en suis pas si sûre.
Comazon élargit ses lèvres dans un sourire silencieux et montra deux rangées de dents pourries. Ses yeux globuleux, ses grosses joues proéminentes, ses mèches raides en épis encadrant sa face ronde, lui donnaient l’air d’un bouffon de pantomime.
— Héliogabale est en train de couper lui-même la branche sur laquelle il est assis, déclara-t-il en avançant le buste. La découverte des statues d’Alexandre, maculées de boue, a déclenché la fureur des prétoriens…
— Valerius a raison, reprit Maesa. Tout ce que fait Varius depuis le début se retourne contre lui. Il a interdit à Alexandre de recevoir les salutations d’usage au palais, d’assister aux cérémonies publiques et de sortir du Palatin… Résultat : les gens s’inquiètent de ne plus voir leur jeune César et leur imagination s’affole. Ils se demandent si le pauvre enfant n’a pas déjà été assassiné… Sans compter que ce pauvre idiot de Varius est incapable de tenir sa langue : il n’y a pas une seule personne dans tout Rome qui ne sache qu’il envisage de faire périr son cousin. Et maintenant cette idée ridicule et puérile de souiller les inscriptions à la gloire d’Alexandre sur les statues ! On dirait qu’il fait tout pour aggraver son cas.
Elle s’interrompit, chercha son souffle.
— Nous n’avons pas à nous alarmer. Attendons que le fruit pourri tombe de lui-même de l’arbre…
— Il est plus seul qu’il ne l’a jamais été, ajouta Comazon avec un ricanement sinistre. Mais l’imbécile heureux ne s’en rend même pas compte ! Isolé dans son palais avec ses amants et ses favoris, il ne peut plus guère compter que sur la Fortune pour l’aider. Personne ne veut plus courir de risque pour sa cause désormais perdue.
— Je vous trouve bien optimistes tous les deux, lâcha Mammaea en jetant un regard en biais à sa mère et à Comazon.
Ils arrivaient tous trois à l’extrémité de la cour et firent halte.
— J’ai montré aux prétoriens une lettre, déclara Maesa. Écrite et signée de la main de Varius. Une lettre fort compromettante dans laquelle il confiait à Soemias son projet d’éliminer Alexandre… et dans laquelle il la conjurait de convaincre toutes les personnes travaillant au Palatin d’user du fer ou du poison dans ce but.
— Où l’as-tu dénichée ?
— Dans la chambre de Soemias. J’avais donné l’ordre que l’on fouille chaque recoin de ses appartements, dans l’espoir d’y trouver une preuve compromettante des desseins criminels de Varius. C’est fait.
— Comment ont réagi les prétoriens ? interrogea Mammaea.
— Comme nous l’espérions, répliqua Maesa.
Elle raffolait toujours de ce genre de sous-entendus, de ces petites remarques implicites dont elle ponctuait allègrement ses conversations, entre des phrases d’une franchise plus brutale.
— Mais ce n’est pas encore suffisant, ajouta-t-elle froidement. Étant donné que certains prétoriens se montrent encore sceptiques, nous allons devoir les convaincre de passer à l’action. Et chauffer à blanc leur fureur.
Sa fille la dévisagea, intriguée.
Maesa resserra son grand châle autour de ses épaules carrées et inflexibles.
— J’ai demandé à Valerius d’envoyer des agitateurs à la caserne du Viminal, expliqua la vieille princesse. Afin qu’ils préviennent les prétoriens de la mort d’Alexandre.
* * *
Conformément à ce qu’avait prévu Maesa, cette annonce déclencha une véritable émeute dans le camp des
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