Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate

en appuyant sur le mot avec tout le dédain qu’elle put y mettre, si tu le sais, tu comprendras ce qui me pousse à soutenir désormais Alexandre plutôt que Varius.
    — Tu ne peux pas faire ça !
    Sa mère, pour toute réponse, se contenta de lui signifier, avec ses yeux fixes, son plus profond mépris. Accrochée à ce regard d’une implacable hauteur, Soemias sentit alors sa situation se décomposer horriblement. Elle eut dès lors conscience de ce que signifierait pour elle l’abandon de Maesa. Elle éprouva, au milieu de sa ruine, un atroce sentiment de fin du monde.
    — Tu es un monstre ! Comment peux-tu condamner l’un pour la gloire de l’autre ?
    — Tu me prêtes trop de pouvoir, ma fille : Varius s’est condamné lui-même.
    — Et moi ? insista Soemias, bouleversée. Si Varius tombe, je tomberai avec lui ! Cela ne te fait-il rien ?
    — Tu n’as jamais été très fine, remarqua Maesa. Tu saisis seulement maintenant ce que je m’évertue à te faire comprendre depuis presque trois ans.
    Soemias respira profondément pour cacher sa peine et ses prunelles quittèrent le visage impitoyable de sa mère pour se perdre, à travers la baie, dans les nuées du ciel automnal.
    — Je ne suis peut-être pas aussi futée que toi, dit-elle d’une voix basse où tremblaient les sanglots, mais il y a longtemps que j’ai compris que tu te servais des autres pour recevoir les honneurs auxquels, seule tu n’aurais jamais pu prétendre. N’es-tu pas fatiguée de vivre ton destin au travers de celui de ta sœur, de tes neveux, de tes petits-fils, comme un parasite ?
    — Tu devrais aller retrouver Varius, coupa Maesa, tranchante. Allez donc vous consoler l’un l’autre.
    — Je vais y aller, sois-en sûre. Je n’abandonnerai pas mon enfant au moment où il a le plus besoin de moi.
    — Abstiens-toi de lui donner de mauvais conseils, la prévint Maesa, tu ne pourrais que précipiter sa fin. Le meilleur service que tu puisses lui rendre et que tu puisses surtout te rendre à toi-même, c’est de te tenir désormais éloignée de lui.
    — Que cherches-tu à me dire ? fit Soemias effrayée. Que manigances-tu encore ? Est-il possible que tu le détestes à ce point ? Au point de vouloir… sa mort !
    Maesa s’enferma de nouveau dans un mutisme éloquent.
    — Tu le hais ! réalisa Soemias avec horreur. Tu le hais autant que Mammaea le hait ! Et même plus ! Oh, comment ai-je pu être assez stupide pour croire que ma sœur était la seule instigatrice de ce complot contre Varius ! Tu ne t’es jamais contentée de laisser agir cette sale garce, tu étais sa complice, depuis le début ! C’est toi, n’est-ce pas, qui as monté les soldats contre mon fils ? C’est toi qui prépares sa perte !
    Maesa ne souffla mot, toujours inerte et dure. Et Soemias, accablée, sentit des larmes amères jaillir de ses yeux et, sans bruit, couler sur ses joues.
    — Si j’avais eu le moindre doute sur ta participation à ce complot, dit-elle faiblement, il est à présent dissipé… Je pressentais cette terrible vérité mais je ne voulais pas y croire.
    — Triste fin, n’est-ce pas ? observa Maesa en lui tournant le dos, signe qu’elle clôturait cette pénible conversation. Quelle absurde conclusion à mes efforts acharnés… Je me suis battue pour faire de Varius, petit prince inconnu d’une minable principauté orientale, l’empereur du plus vaste empire de la terre, et voilà comment s’achève l’aventure.
    — Toi ! Toujours toi !
    — Oui, moi. Tu n’imagines pas ce que j’ai fait pour ton fils.
    — Tu surestimes largement la dette de Varius à ton égard, dit Soemias en étouffant ses sanglots. Ne t’ai-je pas aidé à manipuler les légions, ne t’ai-je pas aidé à vaincre Macrin ? À t’entendre, tu as pour ainsi dire porté, à toi seule, mon fils jusqu’au sommet du Palatin…
    Maesa eut un ricanement hautain :
    — Ma pauvre fille, répliqua-t-elle, les événements auxquels tu fais allusion ne sont qu’une part infime des efforts que j’ai consacrés à l’ascension des Bassianides. Une goutte d’eau dans un océan d’intrigues, d’alliances et de compromis, de ruses, de trahisons et d’âpres compétitions… Sais-tu combien d’années de patience, de mensonges et de luttes il m’a fallu attendre, combien de trésors d’intelligence il m’a fallu déployer afin que tu puisses poser tes fesses impudiques sur le trône, aux côtés de ton