Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
repaissant avidement de leur adulation, se mit à gonfler démesurément.
Il continua de danser, encore et encore, tout en se portant lui-même aux nues. À la fin de son exhibition, sa vanité ayant atteint son paroxysme, le grand triclinium (72) lui sembla résonner de dizaines de voix qui entonnaient le chant de ses éloges.
Quand il eut enfin terminé, il s’arrêta avec un sourire satisfait et imbu de lui-même.
— Encore ! lança Soemias.
Mais Varius, avec une indolence de satrape, refusa de poursuivre et retourna sur le lit d’honneur. Il s’y allongea avec toute la suffisance du vainqueur, négligeant avec ostentation un Crésus devenu morose.
Il lui sembla que toute la lumière des lampes et des candélabres rayonnait vers lui comme s’il eût été seul dans la pièce et son orgueil s’enfla encore une fois, tandis qu’il se considérait réellement comme le meilleur danseur du monde.
Mais, alors qu’il faisait éponger son corps suant, tout à sa démente jubilation, il entendit, dans les murmures de la petite assemblée, des bribes de phrases, des mots et des noms qui n’avaient aucun rapport avec son auguste personne.
Il ne lui en fallut pas davantage pour comprendre que son public avait cessé de s’intéresser à lui et avait déjà oublié son éblouissante performance.
Il n’était plus qu’un convive parmi les autres, un homme ordinaire, ni empereur ni danseur. Les conversations avaient trouvé d’autres centres d’intérêt et, à présent, l’attention générale se portait sur les desserts.
Les invités, en effet, étaient en train de s’extasier sur la gigantesque montagne de pâtisseries que les serviteurs venaient d’apporter sur un immense plateau, amoncellement de gâteaux au miel, de beignets croustillants, de crêpes aux noix, au pied duquel on avait déposé des abricots juteux, des grappes de raisins blancs, des grenades et de belles figues de Chio.
Varius fut soudain envahi par un douloureux sentiment de solitude. C’était toujours le même refrain, toujours le même grand désespoir : il ne réussissait jamais à occuper assez longtemps le devant de la scène ; on l’aimait un bref moment, puis on l’ignorait brusquement, comme une petite chose sans importance, une quantité négligeable.
Il eut envie de danser de nouveau, de ramener l’attention sur lui, d’entendre encore les louanges de ses courtisans. Mais finalement, il se résigna.
— Quel festin ! s’exclama Soemias, repue et ballonnée.
Varius dévisagea sa mère avec dégoût. Il se mit insensiblement à la détester et à détester également tous ces courtisans qui piaillaient, mangeaient et buvaient, sans même s’apercevoir de sa présence. Alors, dans son amertume et sa frustration, il lança à la foule des invités un regard de reproche indigné et croisa les bras comme un enfant boudeur.
— Crésus, dit-il d’une voix sourde, je me sens las. J’aimerais que nous allions nous coucher.
Mais Crésus, qui ruminait son humiliation, resta délibérément muet. Taciturne et renfrogné, il contemplait les reflets de son falerne dans sa coupe d’argent.
— Crésus, répéta l’empereur, je te parle !
Mais son mignon continua de l’ignorer superbement. Dépité, Varius poussa une petite plainte désolée et malheureuse, nettement exagérée.
— Que t’arrive-t-il ? interrogea sa mère en entendant ce râle plaintif et le voyant tout à coup si abattu.
— Je ne sais pas, gémit Varius. La tête me tourne. J’ai… comme des sortes de nausées.
— Tu es ivre, déclara Soemias en soupirant.
Le jeune empereur jeta un coup d’œil navré vers Crésus, ne sachant comment se faire pardonner l’affront qu’il lui avait infligé et le reconquérir.
— Non, j’ai mal dans la poitrine, dit-il en geignant et en implorant son cinaedus du regard. J’ai mal, ici, au côté… Oh ! Je crois que j’ai le cœur brisé !
* * *
Lorsqu’il se réveilla le lendemain matin, la bouche amère et l’esprit flou, ce fut pour trouver son lit vide. Les souvenirs du banquet remontèrent lentement dans son cerveau embrumé et il lui fallut un peu de temps pour comprendre que son beau Crésus avait déserté sa couche durant la nuit. Affolé et furieux à la fois, il s’empressa d’aller trouver sa mère dans sa chambre.
— Que se passe-t-il ? demanda Soemias en le voyant entrer, la mine consternée et contrariée.
— Crésus n’a pas daigné dormir avec
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