Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
autour du malade.
L’art de soigner n’était pas encore réservé à une profession qui en eût le monopole. À Rome même, les riches patriciens confiaient la plupart du temps ce soin à l’un de leurs esclaves, qu’ils estimaient suffisamment compétent, quand ce n’était pas tout simplement à un barbier.
Chacun des membres de ce corps médical improvisé chercha, à sa façon, à identifier la maladie de Varius.
Certains s’attachèrent à l’observation des urines, d’autres encore cherchèrent leur inspiration dans les entrailles d’animaux ou interprétèrent le vol des oiseaux, quelques-uns spéculèrent sur la forme des nuages.
Ils furent, bien entendu, incapables de tirer des conclusions pertinentes quant aux symptômes de la maladie, et les thérapeutiques qu’ils préconisèrent furent tout aussi diverses et contradictoires que leurs diagnostics.
Méneka, le prêtre syrien, recommanda que l’on prononçât à haute voix les formules incantatoires et traditionnelles au Lumineux Élagabal afin que le jeune homme recouvrît au plus vite sa santé.
Le médecin juif, Maïmoun, prépara une tisane à base de poudre d’albâtre, de coloquinte – pour sa vertu purgative – et de reins de vautour.
Caryoclès, l’Égyptien, prescrivit quant à lui une potion faite de racines de belladone, de suc d’écrevisse et de poussière d’or. Dans les deux cas, les praticiens prirent soin de faire entrer dans leurs compositions trois éléments appartenant à chacun des trois règnes, minéral, végétal et animal. Cette volonté, qui pouvait apparaître absurde ou arbitraire au néophyte, n’était cependant pas le résultat d’une fantaisie gratuite et irrationnelle. Maïmoun partageait avec Caryoclès la même vision de l’univers ; tous deux pensaient que ses composants étaient intimement liés. Pour eux, chaque plante, chaque organe, chaque pierre s’inscrivait dans un immense réseau de cohérence et un bon médecin devait savoir les associer dans ses traitements.
Aviarus, le mage, quant à lui, était convaincu que le mouvement des astres gouvernait tous les gestes et tous les organes de l’homme. Aussi décida-t-il, après l’étude attentive du ciel, que la conjoncture était propice à une vigoureuse saignée.
Guidés par les principes du grand Hippocrate, tout autant que par leurs traditions religieuses et leurs superstitions magiques, les guérisseurs firent avaler à leur patient différents vomitifs, lui administrèrent de puissants purgatifs, le protégèrent avec des amulettes et des pierres précieuses, appelèrent à haute voix sa guérison par des incantations et des conjurations théâtrales.
Et parce que l’homme restait placé avant tout sous la protection des dieux, chacun invoqua avec ferveur la divinité de son choix : ils prièrent ainsi, côte à côte, dans un pittoresque et inattendu esprit de syncrétisme, le puissant Élagabal, la divine Isis, Panacée et Hygie, et bien sûr le grand Esculape.
Au septième jour de sa maladie, pourtant, Varius, ne se rétablissait toujours pas.
L’adolescent souffrait de troubles hépatiques, probablement dus à une infection parasitaire. Sa peau et ses muqueuses avaient pris une affreuse teinte jaune, et la fatigue le clouait au lit. Épuisé par les purgations, les lavements et les saignées, il gisait dans un inquiétant état de léthargie.
— Varius se meurt ! se désola Soemias, qui avait toutes les peines du monde à retenir ses larmes.
— Nous n’allons pas le laisser mourir, dit Maesa avec autorité, comme si, par ces simples paroles, elle avait la faculté de conjurer le destin.
— Personne ne peut le guérir ! Ne vois-tu pas qu’il perd des forces chaque jour, que la vie déserte son corps peu à peu ?
— Ce que je vois, c’est que tu ne cesses de geindre et que tu t’apitoies davantage sur ton sort que sur le sien, répliqua sèchement sa mère.
— Tu es si dure ! s’exclama Soemias. Rien ne te touche, rien ne t’atteint jamais ! Il y a quelque chose dans le corps de mon fils, un mal qu’on ne connaît pas, qui le ronge et le tue à petit feu, un mal impossible à soulager, et tu ne sembles pas éprouver la moindre inquiétude à son sujet !
En réalité la vieille Syrienne était bien plus soucieuse que Soemias ne semblait le penser.
Elle ne cessait de se répéter que si la maladie emportait Varius, le trône lui échapperait irrémédiablement. Alors que tout s’était
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