Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate

radoucie.
    — Oui, un temple magnifique qui surpassera tout ce que ce peuple stupide a élevé jusqu’à maintenant. Un temple pour Élagabal. Son installation au Palatin n’est que provisoire. J’ai l’intention de lui bâtir une demeure digne de lui.
    — Et où comptes-tu faire ériger cette merveille ?
    — Tout près du palais. J’ai remarqué un vaste terre-plein sur le flanc est de la colline. L’endroit me semble parfait pour y installer la nouvelle demeure d’Élagabal.
    Sa grand-mère lissa les plis de sa longue robe galonnée d’or et plaqua sur sa figure un sourire de circonstance :
    — Pourquoi pas ? dit-elle aimablement. Si cela te fait plaisir.
    Étonné de ne pas se faire rabrouer par son austère grand-mère, Varius lui lança un regard mi-sceptique, mi-reconnaissant.
    — Peut-être aimerais-tu voir les plans et les dessins ?
    Maesa répondit par un petit hochement de tête affirmatif.
    Aussitôt, le jeune empereur sauta du lit avec une vivacité surprenante. Il se dirigea vers une table sur laquelle trônaient des parchemins peints, des volumes couverts de chiffres, d’annotations et de croquis. Non sans une certaine fierté, il les montra à sa grand-mère, tout en commentant chaque esquisse.
    Sur les peintures, l’Élagabalium (89) se présentait comme un immense édifice périptère, doublé à l’intérieur d’un second alignement de colonnes libres, montées chacune sur un piédestal. Le monument s’ouvrait par un profond vestibule, au centre d’une vaste cour, à la mode syrienne. Maesa ne s’en étonna pas : elle savait qu’une telle surface était nécessaire pour le déploiement des processions et des gesticulations collectives que requérait le culte de la pierre noire.
    — Regarde ! J’ai imaginé trois entrées ! déclara l’adolescent avec un enthousiasme sincère. Trois entrées auxquelles les prêtres accéderont par de larges escaliers.
    Maesa ne fit aucune remarque, laissant Varius à son exaltation.
    — Ici, continua l’empereur en montrant, sur le dessin, les chapiteaux corinthiens qui devaient orner les portiques latéraux, se tiendra Élagabal. Derrière lui, parmi les acanthes, je ferai sculpter son aigle et, à ses côtés, un grand taureau qu’immolera la Victoire ! Et là, des griffons ! Sur ce chapiteau, le Soleil sur son char, et là, au-dessus des volutes, des colombes ! Qu’en dis-tu ?
    — C’est un très beau projet.
    — Et ce n’est qu’une ébauche ! Les plans définitifs seront prêts d’ici quatre semaines.
    — Je suis impressionnée par tant de talent.
    L’aiguillon du soupçon piqua Varius, qui tourna vers sa grand-mère un regard méfiant :
    — Pas de reproches ? Pas de critiques ? Que me vaut cette soudaine et inhabituelle admiration ?
    — Non, pas de reproches pour cette fois, fit Maesa avec indulgence. Seulement une petite question : n’est-ce pas un peu trop grand ? Élagabal se serait peut-être contenté d’un temple de dimensions plus modestes ?
    — Rien n’est trop beau ni trop grand pour notre dieu.
    — Tu as entièrement raison, concéda-t-elle. Et de toute façon, la démesure est la marque des vrais artistes.
    Varius fronça les sourcils, comme si cette complaisance lui était éminemment suspecte :
    — Grand-mère, coupa-t-il en plissant les yeux, inutile de me flatter davantage. Viens-en plutôt au fait.
    La vieille dame toussa nerveusement.
    — Tu n’es pas venue pour me parler du temple, n’est-ce pas ?
    — Non, en effet.
    — Alors je t’écoute.
    Maesa s’abstint de toute manifestation d’autorité et opta pour la diplomatie.
    — J’ai pensé qu’il était temps que tu prennes une épouse, dit-elle simplement.
    L’adolescent écarquilla les yeux à s’en faire sortir les prunelles.
    — Tu voudrais que je m’encombre d’une femme ?
    — Je voudrais que tu trouves une compagne qui te soutienne et qui t’épaule. Quelqu’un qui te fasse découvrir les joies d’une vie à deux.
    Varius s’en alla ranger ses feuilles et ses rouleaux.
    — Désolé, mais j’ai l’intention de m’épargner cet ennui.
    — L’amour conjugal peut apporter à un homme plus de satisfactions que d’agréables passades, insista Maesa.
    Cette fois, l’adolescent eut une moue plus dubitative qu’ironique.
    — En outre, poursuivit sa grand-mère, un mariage avec une jeune fille de l’aristocratie serait la meilleure façon de te concilier définitivement le