Le Secret de l'enclos du Temple
suivez-moi !
Elle s'engagea dans l'escalier en disant au chancelier :
— M. le duc et votre fille ne sont pas à Paris… L'hôtel est vide, sauf les domestiques et tout le monde dort…
— Je sais ! confirma Séguier. Nous allons nous cacher dans le privé de la chambre de ma fille. La porte se fond dans la boiserie. Si on fouille les lieux, on ne nous découvrira peut-être pas.
— Je resterai avec toi, ajouta l'évêque de Meaux, songeant qu'ils n'avaient sans doute plus beaucoup de temps à vivre et qu'il devrait confesser son frère avant de quitter ce monde.
*
À l'étage, ils traversèrent deux pièces en enfilade. Dans la troisième – une chambre avec un grand lit à piliers aux custodes et courtepointe en damas rouge brodé d'argent –, la servante ouvrit une petite porte dissimulée dans les lambris peints. Le privé était minuscule et sentait abominablement mauvais.
— Je n'entrerai pas là ! regimba Tilly en reculant à cause de l'odeur. Je n'ai pas besoin de me cacher et je ne risque rien.
*
Tandis que la servante retournait dans la grande entrée, il poussa les deux frères à l'intérieur et referma la porte avant de se précipiter à une fenêtre pour voir ce qui se passait dehors.
Le carrosse et les archers d'escorte s'étaient arrêtés à la barrière du pont Saint-Michel. Gaston aperçut Marie Séguier en train de parlementer. De la barrière, justement, deux douzaines de bourgeois, armés de mousquets et de hallebardes, se dirigeaient vers l'hôtel de Luynes. Quant à leurs poursuivants venant du Pont-Neuf, ils étaient à moins d'une vingtaine de toises.
C'est alors qu'il remarqua une femme rousse parmi les hommes du guet bourgeois. Il la reconnut, et un frisson d'inquiétude le parcourut.
Bourgeois du guet et truands de la cour des Miracles se trouvèrent face à face devant l'hôtel. Leurs poursuivants devaient donc être plus de deux cents. S'il y avait bataille, le guet bourgeois serait balayé même si les gueux y laisseraient beaucoup de morts. Plusieurs bourgeois avaient allumé des mèches lentes et, grâce à leurs mousquets et arquebuses, tenaient la canaille à distance. Au milieu de la horde, Gaston vit le jeune borgne et eut confirmation que les pendards lui obéissaient. À travers les vitres de la chambre, il entendait aussi les injures et menaces.
— À mort !
— Tuons-les !
— Vengeons-nous de tous les maux dont nous souffrons !
— Il faut les démembrer et les mettre par quartiers dans les places publiques.
Le tumulte s'échauffait. Le guet bourgeois était dirigé par un homme dans la cinquantaine, au visage énergique. Gaston l'avait aperçu une fois au Palais. C'était un conseiller aux Aides nommé Garnier, colonel du guet du quartier de Notre-Dame. Il le vit négocier avec un des truands, un escogriffe habillé d'une souquenille grisâtre de palefrenier qui se tournait sans cesse vers l'homme borgne, comme pour quérir son approbation. Au bout d'un moment, la populace parut se calmer et Garnier, accompagné de deux de ses hommes, de celui en souquenille grise et d'un crocheteur, entrèrent dans la cour de l'hôtel. Ils avaient dû s'accorder pour fouiller la maison ensemble. Avec stupeur, Gaston vit que la femme rousse les accompagnait.
*
Il entendit qu'on ouvrait la porte. Puis résonnèrent des bruits dans l'escalier. Il se précipita dans la chambre, se demandant ce qu'il allait faire. Il y avait une armoire, deux tables et six chaises caquetoires, un coffre, sur lequel était posée une grande cuvette de cuivre rouge. La fenêtre donnant sur le jardin se voyait en partie masquée par de grands rideaux de serge cramoisi. Il songea un instant à fuir par là, mais ne pouvait abandonner les deux frères. Sur un mur étaient tendues deux grandes tapisseries d'Auvergne à personnages et verdure, mais aucune place pour se cacher derrière.
Sur l'une des tables protégée par un grand tapis de drap se trouvaient plumes, encriers et feuillets. Il fouilla dans un tiroir et dénicha des papiers traitant d'un procès. Il les sortit, tira une chaise et s'assit, faisant semblant de travailler.
On perquisitionnait les salles. À chacune, il entendait la vieille femme répéter inlassablement :
— Il n'y a pas de chancelier ici…
Puis la porte s'ouvrit et Garnier entra, suivi de l'homme en gris et de la femme rousse. Les autres devaient visiter les étages.
— Qui êtes-vous monsieur ? s'étonna Garnier. On m'avait dit que
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