Le Secret de l'enclos du Temple
d'arrêter les voitures, aussi les gardes tirèrent-ils sur la foule, laissant de nombreux morts. Ensuite, la troupe se retira lentement vers le Pont-Neuf.
*
Dans le carrosse, Gaston et Picot étaient assis de chaque côté de Séguier, en face se tenaient la duchesse de Sully, l'évêque de Meaux et Dreux d'Aubray. Arrivé au Pont-Neuf, le maréchal, qui était à cheval, crut être menacé et tua d'un coup de pistolet une pauvre femme. Le crime excita davantage la fureur du peuple.
En passant devant le cheval de bronze, le carrosse fut arrêté par une barricade de tonneaux. Les Suisses la démolirent pendant qu'on tirait sur eux et sur les autres voitures depuis les maisons de la place Dauphine. Celle du chancelier fut percée en cinq ou six endroits. Le lieutenant du prévôt de l'Hôtel ainsi que plusieurs gentilshommes à cheval s'écroulèrent. La fusillade s'étendit rapidement. Les Suisses ripostaient, on canardait de tous côtés. Gaston n'avait jamais vu ça dans Paris ! C'était la guerre ! De la fenêtre, il abattit un crocheteur qui avait réussi à s'approcher et qui, un coutelas à la main, s'apprêtait à ouvrir une portière.
Soudain, Picot tomba sous la mitraille. Puis ce fut Charlotte qui poussa un cri. Sa robe rougit, une balle l'avait atteinte.
Enfin, un passage fut dégagé et la voiture repartit. Gaston s'occupa d'abord de la duchesse de Sully. La balle avait traversé le bois du carrosse et n'avait causé qu'une contusion sanglante, mais la fille de Séguier était évanouie. Picot, lui, se vidait de son sang par de multiples blessures. Aubray et Tilly l'allongèrent sur le plancher.
Avec le vacarme de la mousqueterie, le tumulte s'étendit à l'autre bout du Pont-Neuf. Sur le quai de la Mégisserie, le peuple accourut en nombre. Il devait y avoir cinq ou six cents hommes en armes, tenant un linge blanc en guise de drapeau. Le capitaine qui les commandait fit battre le tambour et tenta vainement d'empêcher le passage du convoi, tirant plusieurs coups de mousquets avant de se débander devant la violente charge des gardes du corps.
Sur leur route, si la foule criait :
— Vive le roi !
Elle ajoutait en écho :
— À mort !
— Point de Mazarin !
— Vive le coadjuteur !
Gaston aperçut des enfants avec des lances, d'autres de cinq et six ans des poignards à la main. On leur jetait des pierres, on les insultait et on les maudissait. Il n'avait jamais connu tant de haine et songea, avec angoisse, à Armande, seule rue de la Verrerie.
Après des difficultés inouïes, le convoi aboutit enfin au Palais-Royal. Aidé de l'évêque de Meaux, Gaston transporta Charlotte tandis qu'Aubray appelait des domestiques pour sortir l'exempt du carrosse. Mais il était déjà trop tard : le pauvre Picot, conduit à un hôtel proche, expira. Charlotte fut prise en charge par des femmes de chambre qui l'installèrent dans un cabinet où elles firent venir Guénault, son médecin.
*
Le chancelier demanda ensuite à Gaston de l'accompagner chez la reine. Le maréchal de La Meilleraye vint avec eux. Il était à peine dix heures du matin, mais tous avaient l'impression que plusieurs jours s'étaient écoulés, tant les événements s'étaient multipliés et tant ils avaient vu la mort de près. En traversant la grande galerie, Gaston avisa un garde suisse de la prévôté de l'Hôtel et lui demanda d'envoyer quelqu'un rassurer sa femme, rue de la Verrerie, et lui ramener du linge, sa chemise étant tachée du sang de ce pauvre Picot.
La reine siégeait dans son grand cabinet avec le duc d'Orléans, Mazarin et plusieurs secrétaires d'État. D'Artagnan aussi était là et adressa un signe amical à Tilly. Quand les rescapés entrèrent, sans chapeau, poussiéreux et couverts de sang, le silence se fit.
— Monsieur le chancelier, dit Anne d'Autriche, en s'avançant vers lui, visiblement émue, Dieu soit loué, vous êtes sauf ! Que s'est-il passé ?
— Nous revenons de l'enfer, Majesté… J'ai quitté ma maison ce matin à cinq heures comme vous me l'avez ordonné…
Séguier dressa un compte rendu de son expédition, insista sur le courage de sa fille, blessée, et sur celui de Gaston de Tilly, pour conclure en remerciant Dieu de leur avoir accordé sa grâce.
La Meilleraye raconta à son tour la violence et la sauvagerie des combats. Il avait perdu une vingtaine d'hommes dans les embuscades, des barricades couvraient Paris et on tuait les gens du roi. Le peuple aussi avait
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