Le Secret de l'enclos du Temple
royales, ils envahiraient facilement les lieux.
*
Les parlementaires – plus de cent soixante magistrats en robe et bonnet carré – arrivèrent solennellement en cortège peu après midi. Gaston, redescendu à la grande galerie, les vit défiler dans un pénible silence qui contrastait avec les acclamations et les vivats ayant accompagné leur procession à travers les rues de Paris. Après une brève discussion avec M. Séguier, le président Molé et les présidents des chambres furent reçus par la reine.
Assis et entourés des ducs d'Orléans, de Conti, du cardinal Mazarin et des ministres, Anne d'Autriche et le petit roi écoutèrent le président Molé. Celui-ci se plaignit du non-respect de la parole royale et des illusions honteuses par lesquelles on avait éludé mille fois les résolutions les plus nécessaires à l'État.
La reine, qui contenait difficilement sa fureur en l'entendant, répliqua vertement :
— Il est bien étrange d'avoir vu sans mot dire, du temps de ma belle-mère, le premier prince de sang à la Bastille et de s'emporter à de telles insolences pour un conseiller au Parlement 138 .
Devant le silence du premier président, elle ajouta :
— Je sais bien qu'il y a du bruit dans la ville, mais vous m'en répondrez, messieurs du Parlement, vous, vos femmes et vos enfants !
Puis elle se retira dans sa chambre en claquant la porte derrière elle.
Les plénipotentiaires restèrent interloqués et terrorisés. Le tumulte populaire allait donc reprendre, avec ses funestes conséquences : violences, meurtres et pillages. La ville serait mise à feu et à sang ; pire encore si les troupes cantonnées à l'extérieur entraient rétablir l'ordre.
Le président de Mesmes exhorta alors le duc d'Orléans à intervenir. Lui seul pouvait convaincre la reine. Après une hésitation, Monsieur fit entrer les présidents dans la chambre royale et M. Molé tenta d'expliquer à la reine toute l'horreur qui allait s'ensuivre. Elle refusa de l'entendre jusqu'à ce que le cardinal propose de rendre les prisonniers à condition que le Parlement ne s'assemble plus. Le premier président répondit qu'ils devaient en délibérer au Palais de justice, sinon le peuple croirait qu'ils avaient été contraints.
*
Comme ils repartaient, le chancelier retrouva Gaston dans la galerie et lui raconta ce à quoi il avait assisté avant de lui demander un service.
— Monsieur de Tilly, j'ai besoin d'un homme de confiance me tenant informé de ce qui se passe au Palais de justice. Partez avec M. Molé, assistez à la séance du Parlement, et si la proposition de Mgr Mazarin est acceptée, revenez vite me le dire.
Gaston rejoignit donc les parlementaires et se plaça à la fin de leur cortège, avec les huissiers et les greffiers. À peine étaient-ils sortis du Palais-Royal que les vivats retentirent, mais en même temps quelques meneurs du peuple interrogèrent les présidents ayant pris la tête de la procession.
— Broussel est-il libéré ? interrogèrent-ils plusieurs fois, sans obtenir de réponse.
Alors que le cortège arrivait à la barrière des sergents où était dressée la première barricade, un murmure inquiétant commença à s'étendre. À la seconde barricade, la rumeur enfla que Molé n'avait rien obtenu. À la troisième barrière, devant la Croix-du-Trahoir, deux cents hommes arrêtèrent les magistrats. Le capitaine du quartier, entouré de bourgeois en morion et portant épée, s'approcha de lui.
— Ramenez-vous M. Broussel ? demanda-t-il, le visage fermé.
— Non, mais j'ai de bonnes paroles de la reine qui libérera les prisonniers une fois que nous nous serons réunis au Palais.
Une huée s'éleva, terrible, piques et hallebardes brandies.
— C'est au Palais-Royal qu'il faut que vous retourniez, vous ne passerez pas sans Broussel ! décida le capitaine.
À cet instant, un garçon rôtisseur mit sa hallebarde dans le ventre du premier président et lui ordonna :
— Tourne, traître, et si tu ne veux être massacré, ramène-nous Broussel, ou le Mazarin et le chancelier en otage.
— Traîtres ! reprit la foule en cœur.
— À mort ! hurlèrent d'autres.
Dans la populace, les plus insolents attrapèrent les robes des magistrats pour les secouer, jetant même leur bonnet par terre. D'autres leur lancèrent des pierres et des coups furent rapidement échangés. L'affrontement général s'étendit et la terreur saisit la plupart des parlementaires.
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