Le Secret de l'enclos du Temple
de Mercy à Gaston. N'oublie pas que tu es gouverneur du château. D'autres troupes de pillards peuvent arriver. J'irai seul avec Guillaume. Je ne risque rien ; déjà, à douze ans, il me protégeait quand je sortais de Clermont 168 !
Le vieux soldat sourit de plaisir à ce souvenir.
— À Saint-Germain, tu pourras compter sur Molé. Je t'ai raconté comment je lui ai sauvé la vie, précisa Gaston.
— Peut-être y aura-t-il aussi M. de Bussy.
— Tout cela me déplaît souverainement, intervint Julie, la voix tremblante.
— Je le sais, lui répondit affectueusement son époux, mais je dois le faire, et seul. Tu ne risques rien ici avec Gaston, et moi non plus avec Guillaume.
*
Ils quittèrent Mercy le jeudi aux premières lueurs du jour. Le palefrenier leur avait choisi les meilleurs chevaux et Bauer les avait solidement armés de pistolets, d'épées et de cabines à silex. La première moitié du trajet se fit sous la pluie dans un paysage indifférent à la guerre civile. Mais en s'approchant de la forêt de Saint-Germain, ils découvrirent un spectacle de désolation. Le long de la route dominant la Seine, là où quelques mois plus tôt s'étalaient une riche et riante campagne, des plaines fertiles et cultivées, des jardins de maraîchage et des coteaux de bois ou de vignes, se succédaient désormais des fermes incendiées, des villages ravagés, des bois coupés, des champs à l'abandon. Le pire était les cadavres nus, pendus tels des fruits noirs aux grands arbres. Louis en compta des dizaines, des hommes, mais aussi des femmes et des enfants.
Dans les terres abandonnées, des animaux erraient, à la recherche de vaine nourriture.
Louis en fut épouvanté. Jamais il n'aurait pensé que cette guerre aurait transformé en enfer les abords de Paris.
— Pourquoi tous ces pauvres gens ? demanda-t-il à Guillaume, en désignant une grappe de pendus.
— Ce sont ceux pris en tentant de faire entrer de la nourriture dans Paris, monsieur. Diable ! Le setier de froment atteint de tels prix que celui qui parvient à passer quelques sacs peut s'enrichir d'un seul coup. Aussi, les troupes du Prince pendent-elles tous ceux qui transportent de la nourriture. Ce n'est pas comme les mercenaires allemands qui exécutent pour s'amuser, après avoir forcé femmes et filles dans les fermes.
— Et la reine, que dit la reine ? gronda Louis, en frissonnant.
— Elle s'en moque, monsieur ! admit Guillaume en baissant les yeux.
Il se tut, se souvenant qu'il agissait ainsi avec son frère, en Allemagne. Lui aussi avait pendu, torturé, violé. Comme tous les soldats. Quant à Louis, il songeait à ce que lui avait un jour déclaré Gondi : Le cardinal Mazarin a beaucoup d'esprit, mais il n'a point d'âme.
*
Saint-Germain était inaccessible. Tout autour de la vieille enceinte, des troupes étaient cantonnées dans des tentes. Louis fut enfin reconnu par un cornette des gardes de la reine l'ayant déjà aperçu au Palais-Royal lors de l'affaire du vol des dépêches. Il le conduisit à son officier qui gardait la porte de Pontoise. Louis se présenta, expliquant avoir besoin de rencontrer son voisin de Luzarches, M. de Champlâtreux, et assura connaître personnellement M. Le Tellier, ce que confirma le cornette.
Mais l'officier avait des ordres : personne ne pouvait franchir le barrage du bourg sans passeport. En désespoir de cause, Louis ajouta qu'il était l'ami de M. de Baatz et de M. de Bussy.
— M. d'Artagnan ? Que ne le disiez-vous plus tôt ! s'écria l'officier, brusquement tout sourire. Il loge à l'auberge de La Salamandre !
Il ordonna aussitôt à son cornette de l'y conduire.
L'auberge n'était pas très loin. Son enseigne représentait une salamandre sous un haut-relief de François I er qui s'était marié au château, cent ans plus tôt. Par une chance incroyable, Baatz y sommeillait sur un banc, à une table de la grande salle du cabaret, la tête entre les coudes.
— Fronsac ! rugit l'ancien mousquetaire lorsque Louis s'approcha de lui avec Guillaume.
En même temps, il se levait et accolait son ami jusqu'à l'étouffer.
— J'ignorais que vous étiez à Saint-Germain, poursuivit-il, en serrant la poigne de Guillaume.
— J'arrive à l'instant, mon ami, j'ai besoin d'obtenir un laissez-passer pour entrer dans Paris.
— Diantre ! Ce ne sera pas facile, compagnon, grimaça l'autre en lissant sa moustache en croc. Toussaint Rose 169 vous fera
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