Le Secret de l'enclos du Temple
être chargé de la honte d'avoir mis Paris entre les mains du roi d'Espagne et je ne veux pas non plus devenir l'aumônier du comte de Fuensaldagne et me faire naturaliser espagnol, comme cela risque fort d'arriver à Armand de Conti.
Il poursuivit, désabusé :
— J'ai cru être suffisamment fort pour chasser Mazarin, mais je me suis trompé. Pourtant, j'aurais fait un meilleur ministre, sois en sûr. Hélas, dans cette guerre, mes paroissiens n'auront gagné que le droit de payer plus d'impôts, de mourir de faim et d'entendre des promesses. Ce n'était pas ce que j'avais voulu pour eux.
— Que va-t-il se passer ?
— Depuis la désertion de l'armée de Turenne, je vois le Parlement plus éloigné que jamais de s'engager dans la guerre. Quant à Longueville, il n'enverra jamais de troupes et j'ai appris qu'il négocie avec la Cour. Nous nous dirigeons donc infailliblement vers une sédition populaire qui étranglera le Parlement, mettra les Espagnols dans le Louvre et renversera l'État, comme en Angleterre. Pour ma part, je n'en serai pas.
— Qui s'oppose à la paix, Paul ?
— Le prince de Conti, généralissime de la Fronde !
Il eut une grimace ironique en utilisant ce terme de généralissime.
— Pourquoi ?
— Parce qu'il souhaite des avantages immenses que Mazarin ne lui donnera jamais ! Parce qu'il parle comme un homme qui veut la guerre, mais est prêt à entendre toute proposition venant de Saint-Germain qui lui permettrait de ne plus dépendre de son frère. Les autres sont aussi avides que lui. Bouillon veut Sedan, Beaufort veut l'amirauté, Longueville quelques gouvernements supplémentaires.
— Vous pourriez pourtant tout arrêter, vous seul en avez le pouvoir ! Beaufort est votre ami !
Gondi secoua négativement la tête.
— Pour ce qui est du crédit que Beaufort et moi avons sur le peuple, il est plus propre à faire du mal qu'à l'empêcher d'en faire ! Je t'accorde que si nous étions la lie du peuple, nous pourrions faire ce que Bussy Le Clerc a osé au temps de la Ligue, c'est-à-dire emprisonner le Parlement. Nous pourrions agir comme les Seize quand ils pendirent le président Brisson. Mais Beaufort est petit-fils d'Henri le Grand et je suis coadjuteur de Paris. Ce n'est ni notre honneur ni notre compte 173 . Nous soulèverions demain le peuple, si nous voulions. Devons-nous vouloir ? Et si nous le soulevons, si nous ôtons l'autorité au Parlement, en quel abîme jetons-nous Paris ? Tu vois l'embarras où je me trouve.
— Si je vous entends bien, commenta Fronsac après avoir digéré ce qu'il venait d'entendre, vous voulez laisser faire la paix, mais point en être.
— C'est un peu cela, approuva Gondi.
— Le Parlement désire la paix, l'Hôtel de Ville également. Et si M. de Conti la souhaitait aussi ?
— Je me conformerai à l'avis commun, fit le coadjuteur d'un ton las et monocorde.
— Et Beaufort ?
— Son naturel est d'être de l'avis de celui qui parle le dernier. Ce sera toujours moi avec lui.
En écoutant Gondi, une idée vint à Louis. Une idée folle, extravagante, insensée, impossible, ridicule, mais susceptible d'arrêter cette stupide guerre.
— Je pourrais peut-être convaincre le prince de Conti, s'entendit-il dire.
— Toi ! Mais le connais-tu seulement ?
— Je l'ai rencontré l'année dernière.
— Comment y parviendrais-tu ? plaisanta Gondi.
— En échangeant quelque chose avec lui.
— Quoi donc ?
— Un secret.
Le coadjuteur éclata de rire mais, remarquant que Louis restait impassible, il s'arrêta net et le considéra plus attentivement.
— Vraiment ? Un secret ?
— Il faudrait juste qu'il me reçoive.
Gondi ne répondit pas. Fronsac était-il capable de convaincre ce sot de Conti ? Et, lui-même, avait-il vraiment envie de la paix ? Il s'abîma dans le silence un très long moment. Fronsac n'avait-il pas déjà fait preuve, dans le passé, de tant de finesse et de talent… ? Et la paix ne valait-elle pas mieux que l'exil ou le bain de sang ? Que risquait-il ?
— Je parlerai au prince de Conti, et il te recevra, Louis, promit-il enfin. Monsieur l'abbé, ajouta-t-il à l'adresse de Ménage resté dans la pièce, vous ferez le sauf-conduit de M. Fronsac et vous lui donnerez aussi un passeport pour circuler librement en ville.
171 L'hôtel de Liancourt était situé pratiquement en bord de Seine, rue de Seine précisément, à l'emplacement actuel des rues Visconti et
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