Le Secret de l'enclos du Temple
savait pas lire.
Jeannette lui demanda des nouvelles de Gaston, et de sa jolie épouse, puis Louis à son tour l'interrogea :
— Y a-t-il toujours ce moine barbu à la Merci ?
— Un moine barbu ? demanda Mme Malet. Il y en a plusieurs…
— Celui-là me faisait rire quand j'étais enfant. Il avait une épaisse barbe noire de trois ou quatre pouces.
— Je ne m'en souviens pas, répondit Antoinette, songeuse. Il y a le père Jacques qui est barbu, mais il n'a qu'une barbichette, et vous Mlle Bailleul, vous connaissez un moine barbu ?
Cette dernière, fort timide, se recroquevilla sans répondre.
— Tu oublies le père François, intervint Guillaume.
— Il n'a qu'un mince filet autour du cou, pas une barbe épaisse ! protesta sa femme, les mains sur les hanches, comme elle se tenait toujours quand elle s'opposait à son mari !
— C'est moi qui me trompe, fit alors Louis en levant une main pour calmer tout le monde. Je confonds sottement avec un père que j'ai rencontré plusieurs fois à Saint-Merry. Et si vous me donniez plutôt des nouvelles du quartier ?
Chacun y alla de son anecdote, plaisanta sur les exécutions qu'avait conduites maître Guillaume, sur les naissances et les disparitions, sur le duc de Guise – leur voisin – en fâcheuse situation à Naples (il avait quitté la France après son duel avec Coligny), sur les voleurs et les larrons toujours aussi impudents.
— Gaston m'a parlé de sabbats qui se tiendraient sur la butte aux moulins du Temple, mais qui ne seraient en vérité que de fausses sorcelleries conduites par des voleurs abusant de la crédulité des pauvres gens, tenta encore Louis.
Antoinette secoua négativement la tête de droite à gauche :
— Tu as entendu ça, Guillaume ?
— Jamais ! Mais le Temple est loin, c'est un autre quartier, fit-il, fataliste.
— Sans doute des racontars, conclut Louis, en observant le visage de chacun.
Visiblement, personne n'avait entendu parler d'un diable qui demandait de la poudre d'or pour la transformer en écus. L'hypothèse de Gaston semblait bien confirmée. C'était le mari, avec quelques complices, dont sans doute un moine du couvent, qui avait tout organisé. Quant à la barbe, quoi de plus simple qu'une fausse ?
10
L 'abbé Basile avait longtemps habité chez son frère, rue du Temple, sauf durant la courte période où il avait logé dans le cloître, sous l'arcade de la rue des Chantres, lorsqu'il s'était introduit dans les bonnes grâces du coadjuteur pour lui voler une précieuse lettre désirée par Mazarin 39 .
En ce mois de décembre 1648, il occupait deux pièces dans une maison de la paroisse Saint-Roch, rue de Richelieu, logement commode avec une cour pavée au devant et un jardin par-derrière avec entrée discrète rue Sainte-Anne.
C'est une grande habileté que de savoir cacher son habileté , professait le cardinal. Ses services secrets étaient à l'image du précepte : sous une apparence confuse, ils dissimulaient une redoutable efficacité. Depuis qu'il était ministre, Mazarin s'était entouré de trois hommes fidèles et talentueux ayant chacun un domaine de prédilection. Joseph Zongo Ondedei, son maître de chambre et secrétaire, homme rompu à l'intrigue, ramassait les rumeurs de la Cour et du Parlement ; Tomaso Ganducci, gantier italien tenant échoppe, observait l'humeur des marchands et des bourgeois de Paris ; enfin, l'abbé Basile fréquentait les confréries religieuses, les salles de jeu, les syndicats de financiers et les salons littéraires. Des endroits qui rassemblaient protestataires, factieux, trafiquants, manieurs d'argent et libellistes
Basile se révélait le plus fructueux des trois espions, car il disposait d'informateurs, religieux ou commis du milieu de la finance, dans tous les quartiers de la ville. Ses agents étaient payés sur la cassette de Mazarin, mais l'abbé les utilisait aussi pour son propre bénéfice, ou afin de rendre service à son frère Nicolas sur le point d'être nommé intendant de Paris 40 . Grâce à eux, Basile était averti de nombre d'entorses à la loi, friponneries, larronages, tromperies, adultères ou même trahisons qu'il utilisait pour contraindre, extorquer, menacer ou punir.
On était le lendemain du jour où l'abbé Fouquet avait rencontré Guy de Rabutin au Hazart . Assis dans un fauteuil de sa chambre, habillé, rasé et coiffé par son valet de chambre, l'abbé méditait, lui qui n'agissait jamais sur un
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